Niger 1/2 : Un an après le coup d’État du 26 juillet 2023
Le coup d’État du 26 juillet 2023, un coup de grâce à la présence outrageusement insolente de la France en…
Le coup d’État du 26 juillet 2023, un coup de grâce à la présence outrageusement insolente de la France en Afrique.
Interview René Naba au journal «Le relais du Bougouni» Mali, partenaire du site https://www.madaniya.info/
Niger et Gabon ont constitué un été meurtrier pour la France et sonné le glas de la présence française en Afrique.
La débandade française dans son pré carré pose en filigrane la question du bien-fondé du maintien à la France de la qualité de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
- L’épouvantail russe brandi par la propagande occidentale est un faux prétexte. La plupart des putschistes africains ont été formés dans les académies militaires occidentales
- Il n’appartient pas au tiers monde arabo-africain de soutenir le train de vie de l’élite politico-médiatique française et ses vacances paradisiaques, sur le budget du contribuable des peuples affamés.
Le Niger, nouvelle ligne de défense de l’Occident au Sahel ?
Le Relais du Bougouni : Quelle est votre analyse sur les coups d’État au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger ?
Réponse René Naba : Epilogue d’un bras de fer de deux mois, La France, sous la contrainte, a finalement cédé aux exigences du Niger et a décidé de retirer, et son ambassadeur Sylvain Itté et les 1.500 soldats français stationnés dans ce pays.
Soucieux de masquer ce camouflet diplomatique et militaire majeur, le président Emmanuel Macron en a fait l’annonce le 24 septembre 2023 au terme d’une semaine de grande intensité diplomatique marquée par la double visite du Roi Charles III en France et du Pape François à Marseille.
Toujours dans le souci de masquer son nouveau revers diplomatique, le retrait des premiers détachements français du Niger est intervenu dans la foulée de l’offensive palestinienne contre Israël, le 7 octobre 2023, alors que la planète médiatique bruissait du coup de massue asséné à Israël par le Hamas, la formation paramilitaire islamiste palestinienne depuis Gaza.
Pourquoi un tel revirement ? Très simplement parce que le Niger et le Gabon ont constitué un été meurtrier pour la France, et sonné, en 2023, la fin de la présence française en Afrique. Les bruits de bottes de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), attisés par les coups de menton du Jupiter de France paraissent avoir réduit leur volume sonore, sans doute en raison de la défection de l’allié américain et des faibles capacités tant de l’ancienne Métropole que de ce groupement économique africain disparate.
L’édifice était délabré et lézardé. La relation franco-africaine se consumait, lentement mais sûrement, mais les politiciens et journalistes français regardaient ailleurs. Ou plutôt se gargarisaient de belles paroles en admirant leur nombril. Dans le cas particulier du Niger, ce nouvel avatar français en Afrique interroge sur les capacités du renseignement français, déjà plombé par l’échec au Mali.
Dix ans exactement après le lancement de l’opération Serval au Mali, l’armée française est chassée de tous les pays où elle s’était installée pour combattre les insurrections djihadistes.
Au Mali, puis au Burkina Faso et désormais au Niger, des officiers ont renversé des présidents élus, mobilisant une rhétorique souverainiste et instrumentalisant le ressentiment contre l’ancienne puissance coloniale.
Les gouvernements de transition du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont signé, le 16 septembre 2023, une charte établissant une alliance défensive, l’«Alliance des États du Sahel» (AES), prélude à ce qui pourrait constituer un «Front de refus» anti occidental dans l’Afrique francophone. Les trois pays se proposent de créer une «confédération», antidote à la balkanisation du continent africain.
Effet retard d’une décolonisation formelle corsetée par l’ancienne puissance coloniale par deux instruments corrosifs – la Françafrique et le France CFA – le basculement dans le camp anti français de la majeure partie de l’Afrique Occidentale Française (AOF) -le fameux pré-carré- met en péril la posture internationale de la France en ce que cette débandade pose en filigrane la question du bien-fondé du maintien à la France de la qualité de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies, alors que tout un continent l’Afrique n’en dispose pas.
Pas plus que l’Inde, un état continent, première puissance démographique planétaire, soit une population 20 fois supérieure à celle de la France, de surcroît puissance atomique et 4ème puissance économique, supplantant la France dans la hiérarchie des puissances tant au niveau économique que militaire. Pis : Le retrait français du Niger, deux ans après le départ des Américains d’Afghanistan, reflète un repli occidental non seulement militaire mais aussi politique et diplomatique.
Fait sans pareil depuis six siècles, les nouvelles générations africaines, particulièrement les générations de la décennie 2010 et au-delà, ont vu le jour dans des pays africains indépendants d’un continent indépendant, nullement conditionnées par les rapports séculiers de servitude coloniale de leurs aînés, et, pour ce qui concerne l’Afrique francophone, du corset de la Françafrique et du nazisme monétaire du Franc CFA, pleinement engagées dans la revendication contestataire.
L’Occident, particulièrement l’Europe, a trop tardé à modifier son logiciel dans son approche d’un continent dont le président français Nicolas Sarkozy affirmait, péremptoire, encore il y a moins d’une décennie, qu’il n’était «pas encore entré dans l’Histoire». Cinquante pour cent (50) des francophones vivent en Afrique, avec une projection de 85 pour cent en 2060. De quoi tenir la dragée haute à leur ancienne puissance coloniale ainsi qu’à ses alliés occidentaux.
Désarçonnée par le coup du Niger, la France, soucieuse de se maintenir dans le peloton de tête des grandes puissances, s’est invitée au sommet du BRICS à Johannesburg, fin août 2023, mais s’est heurtée à une fin de non-recevoir, indice de son déclassement progressif tant de l’Afrique qu’au sein de la hiérarchie mondiale des puissances.
Les divergences entre les Etats Unis et la France à propos du Niger.
Les tergiversations de la CEDEAO quant à l’opportunité d’une intervention militaire au Niger pour rétablir l’ordre constitutionnel, hors mandat de l’ONU, a reflété, en fait, les divergences entre la France et les Etats Unis, nouveau venu dans cette ancienne chasse gardée française.
Toutefois, le Niger a dénoncé le 16 Mars 2024, l’accord de coopération militaire passé avec Washington en 2012, affirmant que la présence américaine était « illégale ». Le camouflet infligé à Washington par la junte au pouvoir à Niamey marque la volonté d’un véritable retournement d’alliance, le Niger étant désormais un allié de Moscou. Avec le basculement du Niger, la Russie dispose, avec la Centrafrique, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, et le Soudan et sans compter les zones de l’Est libyen contrôlées par son allié le maréchal Haftar, d’un nouveau relais dans un pays d’émigration, au surplus, un Etat pivot. Le premier contingent russe de l’Africa Corps a atterri le 12 avril 2024 à Niamey, signant là même la nouvelle coopération russe nigérienne.
Le départ des troupes américaines du Niger, exigé par la junte militaire au pouvoir, confirme une tendance lourde d’éviction des Occidentaux, qui prend leur place au Sahel.
Les Etats Unis disposaient en effet à Agadez, la plus importante ville du nord du Niger, d’une base de drone, l’Air Base 201, qui fait office de pivot de l’armée américaine pour le Sahel, un point clé dans ses efforts de renseignement, de surveillance et de sécurisation des Occidentaux pour l’ensemble de l’Afrique du Nord et de l’Ouest. Épilogue de la valse-hésitation, la CEDEAO a subi un camouflet majeur avec le refus de l’Union Africaine de cautionner une intervention militaire au Niger.
Dans l’optique des stratèges occidentaux, le Niger paraissait devoir être la nouvelle ligne de défense de l’Occident au Sahel où les troupes françaises viennent en complément de la base aérienne américaine. L’Air Base 201 est équipé d’une palanquée de drones dont les redoutables MQ-9 Reapers, et protégée par des clôtures, des barrières, des miradors et des chiens de combat.
L’épouvantail russe
L’épouvantail russe brandi par la propagande occidentale est un faux prétexte destiné à masquer le fait que la plupart des putschistes ont été formés dans les académies militaires occidentales ou étaient en rapport avec les armées de l’OTAN : La France, il est vrai, n’est pas seule en cause.
Outre l’Union européenne, les Etats-Unis ont par exemple fourni des formations aux militaires qui ont pris le pouvoir au Mali (Amadou Haya Sanogo en 2012 et Assimi Goïta en 2021), en Guinée (Mamadi Doumbouya en 2021) et au Burkina Faso (Paul-Henri Damiba et Ibrahim Traoré en 2022). A Bamako, Assimi Goïta et Lassine Togola, commandant par intérim du bataillon autonome des forces spéciales, récemment sanctionné par Washington, avaient ainsi participé en 2019 et 2020 à l’exercice «Flintock» que les Américains organisent chaque année pour renforcer les capacités opérationnelles et antiterroristes de leurs alliés en Afrique.
Coïncidant avec le sommet Russie Afrique, fin juillet 2023, de Saint Pétersbourg, à un mois du sommet du BRICS, fin août, de Johannesburg, le putsch du Niger a plongé dans une extrême nervosité les pays occidentaux qui redoutaient un basculement du pré-carré français en Afrique dans le camp hostile aux anciens colonisateurs occidentaux. Mais le coup d’état du Gabon, un mois plus tard, en août 2023, en mettant fin à 56 ans de pouvoir du clan Bongo, a donné le coup de grâce à toute velléité d’intervention militaire de la CEDEAO au Niger, en même temps qu’il sonnait le glas de la présence française en Afrique.
De l’incohérence française : Le cas de la famille Deby au Tchad et la famille Bongo au Gabon.
La présence d’Emmanuel Macron aux obsèques d’Idriss Déby Itno, au Tchad, en 2021, assis au côté de son fils et successeur, le général Mahamat Idriss Déby, a été perçue par les opinions africaines comme l’adoubement d’une transition familiale hors de toute légalité constitutionnelle.
La France s’est en revanche montrée inflexible face aux juntes au Mali, au Burkina Faso ou plus récemment au Niger, en refusant de reconnaître les nouvelles autorités militaires de ce pays, relève un rapport parlementaire français consacré aux déboires français en Afrique.
Une attitude qui rend, selon les auteurs du rapport, les députés Bruno Fuchs (Mouvement Démocrate -Modem) et Michèle Tabarot (Les Républicains-LR), la doctrine française illisible. «Ne pas mettre fin à cette politique du double standard, c’est continuer à nourrir le scepticisme et le rejet, et à alimenter le fantasme d’un agenda français caché», notent-ils.
De même, le Gabon a constitué un autre bel exemple de l’incohérence française : Les Bongo, par exemple, ont régné sur le Gabon depuis 1967 , un Etat qui héberge une partie de la mafia corse et où le pétrolier français Total exploite de précieux gisements depuis le début du XXe siècle (le groupe est aussi présent dans 40 autres pays africains); Quant aux frasques nombreuses de la famille Bongo, elles ont toujours été tolérées par les gouvernements français alors que des présidents démocratiquement élus étaient rappelés à l’ordre au nom de la lutte contre la corruption: le système des deux poids deux mesures a eu des effets catastrophiques en Afrique.
Quatre-vingt et une (81) entreprises françaises sont présentes au Gabon, L’acteur le plus stratégique est ERAMET, qui extrait, transforme et exporte du manganèse. Ce minerai figure parmi les vingt-trois matières premières critiques identifiées par la Commission européenne. Longtemps symbole de la «Françafrique», le Gabon n’a pas le poids économique de sa réputation politique.
Les prochains pays africains à tomber dans l’escarcelle de leurs militaires respectifs pourraient être le Bénin et le Togo, deux pays de plus en plus affectés par le terrorisme, de même que le Congo Brazzaville, où Denis Sassou Nguessou est au pouvoir depuis 20 ans, et le Cameroun, dirigé par Paul Biya depuis 41 ans.
La Gabegie, la corruption, le népotisme, l’impuissance à juguler les problèmes et les dangers, la connivence occidentale à l’égard de ce laxisme ont été de puissants ingrédients à une situation explosive et incité les pays africains à une fuite en avant dans la recherche d’une solution autoritariste aux problèmes lancinants de l’Afrique, à l’arrière-plan d’un lourd passif colonial non purgé.