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L’algarade du nouveau patriarche maronite avec Rafic Hariri

Le nouveau chef de l’Eglise maronite, Mgr Béchara Al-Rahi, intronisé le 25 mars 2011 dans ses fonctions de patriarche Maronite…

Par : René Naba - dans : Liban Politique - le 9 avril 2011

Le nouveau chef de l’Eglise maronite, Mgr Béchara Al-Rahi, intronisé le 25 mars 2011 dans ses fonctions de patriarche Maronite d’Antioche et de tout l’Orient, a déjà levé le tabou d’une visite en Syrie, posé par son prédécesseur irrédentiste. Créant la surprise, le patriarche a effectué, le 5 avril, une visite à Beyrouth pour y rencontrer les chefs religieux et les dirigeants politiques musulmans, proposant, deux semaines après son entrée en fonction, la tenue d’un sommet spirituel islamo-chrétien en vue de relancer la coexistence inter religieuse, à l’arrière plan d’un mouvement visant à abolir le confessionnalisme politique au Liban, le partage du pouvoir sur des critères communautaires.

Mais le prélat est passé à la postérité bien avant son élection au siège patriarcal de la plus importante minorité chrétienne du Liban par une célèbre algarade avec l’ancien premier ministre Rafic Hariri au sujet de la corruption de son gouvernement. Véritable morceau d’anthologie, l’apostrophe épiscopale relève désormais du domaine de la légende publique libanaise. Elle est citée en exemple comme un acte de bravoure du clergé face à la tyrannie des puissances d’argent.

Ci joint l’intégralité de ce surréaliste dialogue qui intervient le 23 octobre 1997, soit un an avant l’éviction de M. Hariri du pouvoir.

La scène se déroule à la résidence du premier ministre, le Palais Koraytem à Beyrouth (1). Mgr Béchara Al-Rahi, évêque maronite de Jbeil (Byblos) (2) se plaint auprès du premier ministre Rafic Hariri des agissements de ses ministres, MM. Fouad Siniora (Finances) et Hagop Demerdjian (affaires municipales), lesquels en retirant la protection gouvernementale à l’industrie du fer ont poussé à la faillite des entreprises locales suscitant de nouvelles vagues de chômeurs et d’immigration. L’usine de fer d’Amchit de Mike Abouzeid notamment a dû opérer une réduction drastique de ses effectifs de 1500 à 250 emplois pour faire face à la concurrence que lui livraient les deux ministres qui se trouvaient être aussi des importateurs du fer en vente libre d’Ukraine, à des prix défiant toute concurrence.

S’en suit entre le premier ministre et l’évêque ce dialogue surréaliste dont voici le compte rendu intégral:

-Hariri: Bonjour Monseigneur, comment allez-vous?
-Mgr Rahi: Je ne vais pas bien
-Hariri: À Dieu ne plaise qu’est ce qui ne va pas?
-Mgr Rahi: Moi je vais bien, mais le pays ne va pas bien.
-Hariri: Vous avez raison, les conditions sont difficiles et dangereuses et la situation délicate.
-Mgr Rahi: Qui est responsable de cette situation?
-Hariri: Vous savez bien Monseigneur qui est responsable.
-Mgr Rahi: Je n’ai pas compris.
-Hariri: «les frères» ne m’ont pas permis de prendre toute ma liberté d’action.
-Mgr Rahi: Comment cela ?
-Hariri: Je suis venu au pouvoir pour édifier un état structuré par des institutions et sortir d’un état en forme de ferme. Mais les frères ne m’ont pas facilité la tâche. Ils ont maintenu les miliciens au pouvoir, au lieu de les placer en prison.
-Mgr Rahi: Mais vous êtes quand même responsable de la dégradation de la situation. Nos dirigeants ont pris l’habitude de rejeter la responsabilité sur les frères. Dans le passé on expliquait nos malheurs par la formule «c’est la faute aux Italiens» pour nous exonérer de nos responsabilités. Cela est bien commode, mais la responsabilité essentielle nous incombe, elle n’est pas du fait des Syriens.
-Hariri: Ma foi Monseigneur, j’ai tenté dernièrement de remédier à cet état des choses et j’ai proposé la constitution d’un nouveau gouvernement, mais les présidents Hraoui et Berri s’y sont opposés.
-Mgr Rahi: Pourquoi?
-Hariri: Car ils veulent conserver leurs voyous au pouvoir
-Mgr Rahi: Hraoui (Président de la République) et Berri (Président de la Chambre) sont-ils les seuls qui comptent des voyous dans leur entourage ?
-Hariri: Qui visez-vous ?
-Mgr Rahi: Vous savez parfaitement qui je vise. Fouad Siniora et Hagop Demerdjian vont faire fermer une usine de traitement de fer à Amchit, première usine du Liban et du Moyen-Orient en ce domaine, propriété de Mike Abouzeid. Je suis là pour vous entretenir de ce problème, en mon nom personnel et au nom du Patriarche Sfeir. L’usine faisait vivre 1500 familles, ils ont été réduits à 250 depuis mai 1996. Ce résultat a été obtenu grâce aux deux ministres Siniora et Demerdjian qui ont levé les dispositions de protection et se sont mis à importer pour leur compte personnel du fer d’Ukraine. Ils ont inondé le marché local à bas prix contrairement aux spécifications. Cela s’est répercuté négativement sur l’usine d’Amchit, qui menace de fermer si la situation venait à se poursuivre.
-Hariri: l’importation d’Ukraine coûte moins cher que la production locale.
-Mgr Rahi: Est-ce ainsi que vous comptez mener votre projet de reconstruction du Liban, en faisant fermer les entreprises et en appauvrissant la population. Les citoyens doutent désormais de leur état qui parait décidé à les pousser vers l’émigration et à laisser le terrain libre aux voyous. Si Siniora et Demerdjian ne cessent leur agression sur le droit de Mike Abou Zeid, nous n’hésiterons pas à dénoncer ce scandale mené par deux ministres de votre gouvernement en vue de leur profit personnel.
-Hariri: Je vais faire des contacts et vous informerai des résultats qui seront bon, avec la grâce de Dieu.
-Mgr Rahi: Le ministre de l’industrie Nadim Salem, le ministre de l’économie Yassine Jaber et le président Hraoui sont d’accord pour maintenir la loi sur la protection des industries locales. Pourquoi alors Siniora enfreint-il cette loi? Pour la simple raison qu’il veut en profiter.
-Hariri: Nous devons être patients avec ces enfants.
-Mgr Rahi: Mais ces enfants sont des ministres, Monsieur le Premier Ministre. Il y a une usine qui menace de fermer et des familles qui risquent d’être privées des moyens de leur subsistance.
-Hariri, en souriant, répète: Nous devons être patients.
-Mgr Rahi: Il n’y a pas d’espoir dans un tel Etat. Le citoyen est à plaindre.

Références

1-«Hariri, de père en fils, hommes d’affaires premiers ministres» René Naba (Harmattan 2011, Chapitre I- l’Etat c’est moi», note 10), qui reprend ce passage du livre «Les Mains noires» du député Najah Wakim.

2-Béchara Al-Rahi, évêque de Jbeil (Byblos), s’est fait aussi connaitre par sa dénonciation de la division de la communauté chrétienne. Sa principale mission sera donc d’unifier les rangs des chrétiens du Liban. Son prédécesseur, Nasrallah Boutros Sfeir, qualifié de «Patriarche de la division», était accusé par les partisans du général Michel Aoun, la plus importante formation politique chrétienne, de s’être discrédité par son alignement sur les thèses des chefs miliciens les plus extrêmes, notamment Samir Geagea. Mgr Rahi avait également dénoncé l’annulation par le gouvernement de Fouad Siniora du jour férié accordé au lundi de Pâques et son remplacement par un jour férie décidé le 15 Février, en signe de commémoration de l’assassinat de Rafic Hariri. Né le 25 février 1940, il a été ordonné prêtre en 1967 pour devenir évêque en 1986. L’évêque de Byblos a été intronisé dans ses fonctions, le 25 Mars 2011, Patriarche Maronite d’Antioche et de tout l’Orient, devenant ainsi le 77 patriarche depuis St Jean-Maron (1er patriarche d’Antioche en 685). Il succède ainsi au Patriarche Nasrallah Boutros Sfeir, qui avait présenté sa démission au Vatican, le 26 février dernier, indiquant avoir atteint la limite d’âge.

-L’Église maronite compte 23 diocèses et deux vicariats au Liban, en Syrie mais aussi dans le monde entier comme en Argentine ou en Australie. Projet audacieux que d’aucun ressentira comme une provocation, Rafic Hariri avait caressé le projet d’acquérir l’Université du Saint Esprit de Kaslik Jounieh. Il se heurtera là au veto de la hiérarchie religieuse hostile à ce qu’elle considère comme le bradage du fief de l’ordre des moines maronites libanais. Il essuiera aussi un veto du clergé orthodoxe pour une prise de participation majoritaire de M. Hariri au capital du quotidien «An-Nahar», un des symboles du Beyrouth intellectuel, dont il en sera un partenaire dormant, avant de céder la place au prince Walid Ben Talal.