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Liban : Beyrouth, le Vietnam d’Israël

La mère de toutes les villes du récit de la résistance arabe. L’auteur dédie ce papier à la génération de la…

Par : René Naba - dans : Analyse Israël Liban - le 17 avril 2015

La mère de toutes les villes du récit de la résistance arabe. L’auteur dédie ce papier à la génération de la relève du Liban et du Monde arabe afin qu’elle échappe aux travestissements des faits, qu’elle prenne l’exacte mesure du nanisme politique de ses dirigeants…….. à titre de contribution à sa pédagogie politique, en guise de dette d’honneur de l’auteur envers son pays d’origine en ce que le Liban, en ces temps de sectarisme, est l’unique pays au Monde où chrétiens et musulmans, sunnites et chiites se partagent le pouvoir.

Papier remis en ligne le 13 avril 2015 à l’occasion du 40 me anniversaire du déclenchement de la guerre civile libanaise.

Beyrouth, 40 ans après

40 ans se sont écoulés depuis la sinistre fusillade d’Aïn Al Remmaneh, dans la banlieue sud-est de Beyrouth, et depuis lors beaucoup d’eau a coulé sous combien de ponts brisés. Quarante ans plus tard, alors que les Libanais émergent titubant d’une longue nuit de sang et de fureurs, leur pays, à l’ombre de l’accord de Taëf (1989), acte fondateur d’un Liban normalisé, a abordé le XXI siècle en lente convalescence miraculeusement rescapé de quatorze ans d’une guerre sans répit ni merci, accablé par la surcharge de neuf ans d’une gestion erratique menée sous le premier mandat de la deuxième République Libanaise (1990-1998).
Dans la mémoire collective de la nation défile, en surimpression, la trajectoire des principaux protagonistes d’un drame qui a tourné à l’hécatombe, décimant deux classes d’âge -la génération de la relève-, mutilant physiquement et psychiquement le tiers de la population active de ce pays de trois millions d’habitants jadis à l’avant-garde aujourd’hui à l’arrière ban de la constellation des États du Moyen-Orient.

Répertorié dans l’histoire comme la première guerre civile urbaine de l’époque contemporaine, précurseur des guerres modernes d’épuration ethnique, ce drame, par son ampleur, fera l’objet d’un enseignement dans les académies militaires. Piètre consolation pour un pays en état d’apnée à la recherche de son âme au moment où le Moyen-Orient s’engouffre dans une frénétique confusion vers une problématique pacification diplomatique sous les fourches caudines d’Israël et des États-Unis.

Chefs de guerre, grands ou petits, fiers ou crapuleux, qui pendant vingt ans ont sillonné le pays, parfois d’une manière sanglante, que sont-ils devenus ? Héritiers politiques des pères de l’Indépendance, Bachir Gemayel, Tony Frangieh, Dany Chamoun, chefs charismatiques de l’équipée chrétienne, ont été tués dans leurs propres fiefs par leurs propres frères d’armes alors qu’ils rêvaient de passer à la postérité en tant que bâtisseurs d’un état fort et souverain, havre de la chrétienté d’Orient, tandis que le chef de file des chrétiens modérés, Raymond Eddé, était forcé à l’exil sous la pression de la traque phalangiste et des artilleurs syriens lancés à ses trousses.
Leurs vis à vis de l’hétéroclite coalition palestino progressiste ont connu un sort quasi-identique. Premier dans l’ordre des trépassés, le chef druze du camp progressiste libanais, Kamal Joumblatt, a été lui aussi assassiné le 16 mars 1977 dans son propre fief. Pourfendeurs du défaitisme arabe, principaux animateurs de la lutte armée et la révolte palestinienne en Cisjordanie et à Gaza, Abou Jihad (Khalil Al Wazir), responsable militaire de la guérilla palestinienne, et Abou Iyad (Salah Khalaf), chef du renseignement, ont péri eux aussi de mort violente. Symboliquement, comme pour signifier l’échec de leur projet, dans l’un des endroits les plus éloignés de la Palestine, en Tunisie, leur troisième lieu d’exil après la Jordanie et le Liban, pays réputé davantage pour son mercantilisme que pour son militantisme.

Le militaire Abou Djihad par un commando israélien, le second Abou Iyad, suprême infamie pour cet homme du renseignement, par des membres de sa propre garde.

La coalition, elle, a volé en éclats. Son chef Yasser Arafat qui rêvait de transformer radicalement le Monde arabe, galvanisé par le mot d’ordre d’une « Révolution jusqu’à la victoire », a fait l’objet d’un confinement jusqu’à sa mort, et, l’autorité de son successeur est âprement contestée par ses anciens partisans happés par la tentation intégriste, sous la tutelle sourcilleuse de ses deux parrains l’Egypte et Israël.
Jamais personne n’avait imaginé qu’une telle détonation allait engendrer pareille conflagration. Nul ne s’était jamais hasardé à prédire un cataclysme si interminablement dévastateur.

Ce jour-là, pourtant, Beyrouth se berçait sous un dimanche ensoleillé du printemps méditerranéen, vaquant à la célébration rituelle de la « Fête des Rameaux ». Alors que le président libanais Soleimane Frangieh était hospitalisé d’urgence pour une intervention chirurgicale, 27 passagers d’un car palestinien étaient fauchés par la mitraille dans le quartier chrétien d’Aïn Al Remmaneh, à la lisière des agglomérations populeuses de Beyrouth.
La fusillade, sombre présage, éclate dans la quinzaine qui voit la chute de Pnom Penh et de Saigon, les deux bastions américains en Asie dans la lutte contre le communisme international à l’apogée de la guerre froide soviéto-américaine. C’était le 13 avril 1975, date généralement retenue pour le début d’une guerre qui va saper les fondements du Liban, briser sa cohésion nationale et la cohabitation libano palestinienne, rompre la solidarité arabe et enrichir de surcroît le martyrologe contemporain de certains de ses plus dramatiques épisodes. Qu’on en juge.

Le lendemain de cette fusillade, Beyrouth tant vantée alors pour sa convivialité inter communautaire se crispe et se tétanise avant de basculer dans la guerre civile. Les objectifs initiaux de la guerre vont vite être dépassés et les rivalités interconfessionnelles vont s’enchevêtrer avec les enjeux stratégiques des puissances régionales -Arabie saoudite, Égypte, Israël, Syrie, Irak, Iran et Libye-, et de leurs parrains respectifs -les États-Unis et l’Union Soviétique- pour transformer ce paisible pays en un polygone de tir permanent de la technologie militaire de l’après Vietnam.

La route internationale Beyrouth Damas, veine jugulaire de la métropole libanaise vers l’hinterland arabo musulman, devient la ligne de démarcation de deux univers qui ne cesseront dès lors de graviter dans des orbites différents.
À l’arrière plan des pourparlers de paix égypto israéliens, sur fond de conflit irako iranien, les protagonistes se rejetteront mutuellement la responsabilité d’un conflit aux multiples rebondissements. Ils feront flamber dans une sorte de Potlatch, le rituel d’ostentation et d’autodestruction dans les sociétés primitives, le Saint-Georges et le Phoenicia, joyaux de l’industrie hôtelière de l’Orient. Pour alimenter leur trésor de guerre, ils pilleront la « British Bank of Middle East » et les autres établissements de la célèbre « Rue des banques ».

Telle une sarabande mortifère, La Quarantaine, Damour, Tall El Zaatar en 1976, puis Sabra et Chatila en 1982 passeront dans l’histoire comme de sanglantes illustrations de la déraison humaine. La Kalachnikov, le fusil d’assaut soviétique symbole des luttes de libération du tiers-monde et son équivalent américain, le M16, seront vite déclassés au profit des batteries de D.C.A. transformées en mitrailleuses à tirs rapides. Elles-mêmes seront supplantées par les missiles sol-sol français Crotale et soviétique GRAD, puis par les bombes à implosion lâchées lors du siège de Beyrouth en juin 1982 par les Israéliens à la poursuite des dirigeants palestiniens. Le point d’orgue sera atteint en 1983-1984 par la terrifiante artillerie de marine du destroyer américain « New Jersey » rescapé de la 2me guerre mondiale et remis en service pour la circonstance.

En février 1984, neuf ans après la fusillade de Beyrouth, la plus importante armada de l’après-guerre était déployée aux larges des côtes libanaises. S’y côtoyaient à quelques encablures, la flotte soviétique dont les alliés syriens s’opposaient à la constitution d’un axe proaméricain Le Caire Tel-Aviv Beyrouth, et la marine de guerre de quatre pays de l’Otan (États-Unis, France, Grande Bretagne, Italie), accourus deux ans plus tôt sous la bannière de la Force Multinationale occidentale pour assurer l’évacuation des combattants palestiniens retranchés dans Beyrouth assiégée.

Derniers arrivés, les Occidentaux partiront les premiers sous le coup de boutoir d’une mystérieuse organisation à l’efficacité redoutable, le Jihad islamique. Les uns, les États-Unis, sans délai, les autres, les Français, sans précipitation, laissant en 18 mois près de 300 victimes tués dans des attentats à Beyrouth contre les quartiers généraux américains et français. Les Israéliens, sollicités dès 1976 par le camp chrétien, prennent pied au sud Liban en 1978 avant de pousser aux portes de Beyrouth quatre ans plus tard, en 1982. Au printemps 1985, opérant une retraite sans gloire sans avoir rempli leurs objectifs initiaux, ils dénombreront près de 600 tués et 3.000 blessés dans ce que l’un des leurs qualifiera de « Guerre des dupes ». Les Palestiniens, auparavant, avaient perdu leur sanctuaire libanais où ils étaient implantés militairement depuis 14 ans.

Génération orpheline d’un espoir révolutionnaire, la coalition palestino progressiste, jadis fer de lance de la contestation arabe, s’est, elle, disloquée dans un rejet mutuel supplantée par des guérilleros du type nouveau : les combattants islamistes, lesquels tiendront l’Occident en haleine pendant près d’une décennie avec l’infernale spirale des otages, dont la plus illustre victime sera paradoxalement le plus brillant représentant de la jeune génération d’arabisants occidentaux, le Français Michel Seurat. De tous les protagonistes, seuls les Syriens subsisteront, devenant désormais un élément incontournable de l’échiquier libanais.
Les Chrétiens libanais repliés dans le « Marounistan », selon l’expression du journaliste américain Jonathan Randall, chercheront à compenser leur solitude par une dévotion sans limite à la mémoire de leur chef fédérateur Bachir Gemayel. Une poignée de ses fidèles nostalgiques se révoltera en mars 1985 contre son frère et successeur le président Amine Gemayel, lequel à la fin de son mandat, suprême humiliation pour un seigneur du terroir, sera interdit de séjour dans son propre pays.

Dans la foulée, le camp chrétien, comme décapité, basculera dans un cycle de violence, culminant en 1989 avec le combats des chefs qui mettra aux prises le chef des milices Samir Geagea au général Michel Aoun, commandant de l’armée régulière et chef du gouvernement transitoire. Cette guerre fratricide aura dévasté le camp chrétien beaucoup plus durablement que l’ensemble du conflit libanais et dont l’épilogue sanglant aura achevé de désorienter la communauté catholique du Liban et, au delà la chrétienté d’Orient.

Dans cette ambiance de folie meurtrière, le président élu René Mouawad connaîtra un magistère aussi éphémère que son prédécesseur Bachir Gemayel et un sort tragiquement identique. Il périra sous les bombes, fait symptomatique, le 22 novembre 1989, jour anniversaire de l’Indépendance du Liban, alors que les derniers en date des belligérants chrétiens étaient renvoyés dos à dos, le général Aoun en exil à Paris et Samir Geagea en prison.

De ces péripéties guerrières, la fonction politique de Beyrouth et le rôle économique du Liban en pâtiront inexorablement. Naguère ville d’avant garde et haut lieu du cosmopolitisme, concentrant les succursales d’une centaine de banques parmi les plus importantes du monde, Beyrouth, sous l’ombre tutélaire de deux établissements de renom, l’Université américaine (AUB) et l’Université pontificale des Pères Jésuites (USJ), a favorisé l’éclosion culturelle et la cohabitation intellectuelle de personnages aussi antinomiques que Georges Habbache, médecin, chrétien, palestinien, marxiste, chef du Front Populaire pour la Libération de Palestine, diplômé de l’Université américaine et l’un des plus virulents partisans de la guérilla anti-américaine, Jalal Sadek Al Azm, un intellectuel musulman pourfendeur dans deux ouvrages retentissants de l’intelligentsia arabe et de la religiosité musulmane ou encore le célèbre poète libanais Chrétien Said Akl, auteur des hymnes les plus majestueux à la gloire de l’Islam et de l’arabisme, particulièrement de la dynastie omeyyade de Damas.

Au crépuscule de sa vie, Georges Habbache, frappé de paralysie politique par l’effondrement de son allié soviétique et la défection de ses soutiens arabes sera frappé, par réaction somatique, d’hémiplégie. Quant au philosophe syrien, banni du Liban, il dispensera son enseignement à la prestigieuse université de Princeton (États-Unis), alors que le poète libanais, prix Lénine de la Paix, opérant une reconversion sans gloire, versera dans un militantisme religieux à l’image de bon nombre de ses coreligionnaires.

Capitale surdimensionnée, à contre-courant du monde arabe dont elle secouera régulièrement la léthargie, Beyrouth a compensé par une fonction tribunitienne la défaite historique du nationalisme arabe, donnant le ton à toutes les manifestations de protestation pan arabes. Toutes les chapelles du nationalisme, du marxisme et du fondamentalisme politique ou religieux y avaient pignon sur rue et disposaient de journaux forts documentés sur la situation de leur pays d’origine, à la plus grande satisfaction et au plus grand bénéfice de près de 500 correspondants de la presse internationale accrédités à Beyrouth, qui faisait office en la circonstance de capitale régionale de l’information.

Abritant avant-guerre près de 3.000 imprimeries et une centaine de maisons d’édition, Beyrouth a produit une littérature politique supérieure en quantité et souvent en qualité à la totalité des pays arabes et se jouant de la censure -courante dans ces pays- en a assuré la diffusion.
Dans les années 1960-1970, en plein boom économique, à proximité des boîtes de nuit les plus luxurieuses d’Orient, les Beatles et la philosophie psychédélique de l’américain Timothy Leary pâtiront à Beyrouth de l’attrait qu’exerçaient sur les jeunes militants arabes les œuvres du grand timonier chinois Mao Tsé Toung ou les écrits du triptyque universitaire de la révolte étudiante de Mai 1968 en France, l’économiste Charles Bettelheim, le philosophe Louis Althusser et le politologue Nicos Poulantzas.

Pendant qu’une bonne partie de la planète vibrait aux exploits fantasmagoriques de James Bond ou compatissaient aux souffrances d’Aly Mac Graw dans « Love Story », Beyrouth, signe prémonitoire, réservait sa plus forte audience au film de Costa Gavras « Z » sur les agissements de la CIA, la centrale américaine du renseignement, dans un pays méditerranéen proche du Liban.

C’est dans Beyrouth que la Résistance palestinienne a trouvé aide et refuge après le septembre noir jordanien (1970) et que se sont aguerris les premiers chefs des pasdarans iraniens, tombeurs de la dynastie Pahlévi, bastion américain de la zone pétrolifère du Golfe. C’est dans cette ville encore que tous les opposants arabes, bourgeois ou révolutionnaires, capitalistes ou déshérités, en délicatesse avec les autorités de leur pays, en rupture de ban avec leur société d‘origine, ont cohabité pêle-mêle aux côtés des maquisards pourchassés du Golfe à la Méditerranée, aussi bien les Arméniens de l’ASALA que les Kurdes du PKK, les Somaliens ou les Érythréens, les Saoudiens et les Yéménites regroupés au sein du Front de Libération de la Péninsule Arabique. C’est dans cette ville enfin assiégée par les Israéliens en juin 1982 que Yasser Arafat assurera avoir humé dans son sanctuaire transformé en camp retranché « les senteurs du paradis » (Rawaeh Al Jannah), le pressentiment de l’au-delà.

Rafic Hariri, victime majeure du discours disjonctif occidental

C’est dans ce contexte que surgit Rafic Hariri, avec ses bulldozers et ses travaux de déblaiement en pleine invasion israélienne du Liban, en 1982, rénovateur de Beyrouth dont il s’en emparera carnet de chèques à la main, sans toutefois réussir à conquérir son âme, qui en sera sa tombe, ignorant ou feignant d’ignorer que l’ancrage sunnite de Beyrouth ressortait non du mercantilisme qu’il incarnait, mais du nationalisme arabe militant qu’il combattait avec vigueur, en contradiction avec les idéaux de sa jeunesse, en contradiction avec la tradition militante de la capitale, unique foyer de contestation du Monde arabe.
Dans la griserie de l’époque, ni Jacques Chirac ni Rafic Hariri n’avaient relevé la coïncidence de la propulsion du milliardaire libano saoudien aux responsabilités gouvernementales au Liban, l’année même de l’entrée en scène du Hezbollah chiite dans l’arène politique libanaise, en 1992, occultant de ce fait la montée en puissance des Chiites au Liban et de l’Iran au Moyen orient, dans la foulée de l’enlisement américain en Irak et en Afghanistan et les bouleversements démographiques et géostratégiques que cette nouvelle donne induisait sur le double plan libanais et régional.

Désormais majoritaires, adossés aux deux grandes puissances régionales, qui plus est les chefs de file des deux courants de l’Islam, l’Arabie saoudite et l’Iran, sunnites et chiites libanais se substitueront aux anciennes communautés fondatrices du Liban, -druzes et maronites-, dans le commandement de la vie politique libanaise, modifiant radicalement l’équation libanaise que Hariri de même que son compère Chirac, les yeux rivés sur l’Arabie saoudite, leur Mecque politique commune, continuaient de lire avec une ancienne grille de lecture, une grille exclusivement sunnite.

Mal leur en prit. Cédant aux sollicitations de son protégé libanais qui pensait mettre au pas la Syrie au profit de son protégé sunnite le vice président syrien Abdel Halim Khaddam, à la faveur du bouleversement géopolitique induit par l’invasion américaine de l’Irak, Jacques Chirac va opérer un infléchissement de sa politique dans un sens atlantiste, parrainant une résolution du Conseil de sécurité (N°1509, 2 septembre 2004) préconisant le retrait militaire syrien du Liban.
Résolution fatale à Rafic Hariri. La Syrie se retirera effectivement du Liban, mais l’ancien partenaire en affaires des dirigeants syriens et nouveau chef de file de l’opposition anti-syrienne sera assassiné le 15 février 2005, six mois après l’adoption de ce document, de même que certains principaux vecteurs de la francophilie au Moyen Orient, les deux journalistes du quotidien pro occidental « An Nahar » (Gébrane Tuéni et Samir Kassir), alors que le président français était caramélisé à son tour, trois mois plus tard, par sa déroute au référendum européen le 29 mai 2005.

Le roi Fahd d’Arabie, le principal bailleur de fonds des équipées occidentales dans le monde arabo musulman et protecteur de l’ancien premier ministre libanais, décédait, lui, six mois après l’assassinat de Hariri, en Août 2005, au moment même où l’Iran, le grand rival chiite et pétrolier de l’Arabie saoudite, se dotait d’un nouveau président en la personne de Mohamad Ahmadinijad, un dur parmi les durs, un ancien des gardiens de la révolution.

Épreuve supplémentaire, Jacques Chirac vivra la guerre de destruction israélienne du Liban, en juillet 2006, en situation cataclysmique : son enfant chéri, politiquement parlant, Rafic Hariri, assassiné un an auparavant, son œuvre qui le destinait à la postérité, la reconstruction du centre-ville de Beyrouth, fera à son tour l’objet d’une démolition systématique de la part du nouveau meilleur allié de la France, le premier ministre israélien Ehud Olmert. Les nouveaux bâtisseurs de Beyrouth ne seront pas forcément les Hariri et Jacques Chirac ne sera plus non plus au pouvoir lorsque le nouveau Beyrouth sera reconstruit dans quinze ans.
La France, de concert avec Israël, s’est livrée en 1956 à une expédition punitive contre l’Égypte pour punir Nasser d’avoir nationalisé le canal de Suez. Cinquante ans après en 2006, elle préconisait des « mesures coercitives » contre le Hezbollah. Les réflexes coloniaux demeures tenaces en France, réduisant la « politique arabe de la France » à la fréquentation des milliardaires, et, dans le cas d’espèce, pour Chirac, principalement le Roi du Maroc, Rafic Hariri, auparavant Saddam Hussein.
Principal latifundiaire du pays, propriétaire de près du cinquième de la superficie d’un minuscule État de 10 000 km2, par ailleurs propriétaire d’un empire médiatique surpassant l’ensemble du parc libanais, disposant de surcroît d’une fortune personnelle supérieure au produit national brut, monopolisant en outre l’expression politique de l’islam sunnite libanais, Rafic Hariri était d’un calibrage conforme aux spécifications de ses mentors, son parrain saoudien et le protecteur américain de la pétromonarchie. Dans un pays désarticulé et segmenté en une multitude de communautés religieuses, sa protubérance paraissait inadaptée aux structures libanaises.

Que le combat contre l’arbitraire ait été mené par cet homme-là qui s’est longtemps vécu abusivement comme le président effectif du Liban, un homme que les chrétiens accusaient en catimini d’« islamiser la terre libanaise » en raison de ses achats massifs de biens fonciers, participe d’un dévoiement de la pensée.

Que l’alliance entre l’un des rares dirigeants arabes se réclamant du socialisme, Walid Joumblatt, et un parfait représentant du pan capitalisme pétro monarchique pro américain ait abouti au terme de son processus, en juin 2005, à l’éviction de la scène politique de l’ancien Premier ministre Sélim El Hoss et du député nationaliste Najah Wakim, deux forts symboles de la lutte anti corruption, porte en germe la marque d’une dégénérescence de la vie démocratique du pays.
Qu’une telle alliance ait entraîné l’élimination des deux seuls parlementaires qui n’aient jamais pratiqué la vendetta (Omar Karamé, ancien Premier ministre lui-même et frère d’un Premier ministre assassiné, Rachid Karamé, et Soleimane Frangieh dont toute la famille a été décapitée par les milices chrétiennes), que cette double éviction se soit accompagnée du blanchiment simultané de tous les criminels de guerre libanais sans égard pour leurs victimes sanctionne la déliquescence morale de la nation.

À défaut de contrepoids, faute de balises, ce vizir qui se rêvait à la place du grand vizir, électron libre aux effets centrifuges, a pu paraître comme un facteur de déséquilibre, un instrument de déstabilisation pour le Liban et son voisinage immédiat.
Chef du clan américano saoudien au Liban, Rafic Hariri, ancien partenaire de la Syrie reconverti en fer de lance du combat anti baasiste, a été, en protée de la vassalité, un exécutant majeur de la pantomime du Moyen-Orient, et, à ce titre, une victime majeure du discours disjonctif occidental, discours prônant la promotion des valeurs universelles pour la protection d’intérêts matériels, discours en apparence universel mais à tonalité morale variable, adaptable en fonction des intérêts particuliers des États et des dirigeants.

L’histoire du Monde arabe abonde de ces exemples de « fusibles » magnifiés dans le « martyr », victimes sacrificielles d’une politique de puissance dont ils auront été, les partenaires jamais, les exécutants fidèles, toujours. Dans les périodes de bouleversement géostratégique, les dépassements de seuil ne sauraient se franchir dans le monde arabe sans déclencher des répliques punitives.
Le Roi Abdallah 1er de Jordanie, assassiné en 1948, le premier ministre irakien Noury Saïd, lynché par la population 10 ans après à Bagdad, en 1958, ainsi que son compère jordanien Wasfi Tall, tué en 1971, le président égyptien Sadate en 1981, le président libanais Bachir Gemayel, dynamité à la veille de sa prise du pouvoir en 1982, l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005, et l’ancien premier ministre du Pakistan Benazir Bhutto en 2007, enfin, constituent à cet égard les plus illustres témoins posthumes de cette règle non écrite des lois de la polémologie si particulière du Moyen-Orient. Tel pourrait être l’enseignement majeur de cette séquence dont la victime principale aura été l’espérance.
Un des rares hommes politiques libanais de premier plan à s’être propulsé à la tête de l’état sans avoir auparavant exercé le moindre mandat électif, ni la moindre fonction politique, M. Hariri cherchera à compenser par sa fortune et ses amitiés internationales son inexpérience politique et gouvernementale. Homme de parade, il occupera pendant vingt-sept ans (1978 -2005) le devant de la scène politique et médiatique d’abord en tant qu’hommes d’affaires, puis pendant ses dix ans de pouvoir (1992-1998/2000-2004) comme chef de gouvernement.
Relayé par une importante force de frappe cathodique, il reléguera à l’arrière-plan non seulement la totalité de la classe politique, mais également le pays lui-même. Il exercera une sorte de magistère de la parole pour promouvoir son projet politique d’identification substitution, confondant dans sa personne et l’état et la nation, donnant par la même un rare exemple de prépotence. A l’heure du bilan, l’erreur lui sera fatale tout comme son excès de confiance dans ses capacités de gestionnaire sur le plan économique et de manœuvrier sur le plan politique.
Pur produit de la financiarisation de la vie publique nationale du fait de la mondialisation économique, à l’exemple de l’italien Silvio Berlusconi, Rafic Hariri aura implosé à l’instar d’une bulle financière, en purge d’un passif, en solde de tout compte.

Abdel Halim Khaddam, Moustapha Tlass, les deux cautions sunnites du régime baasiste syriens happés par les pétrodollars saoudiens

Au-delà de Rafic Hariri, la « diplomatie du carnet de chèques », maniée de tous temps par les Saoudiens, pour restaurer le pouvoir sunnite tant à Beyrouth qu’à Damas aura ainsi montré son indigence et ses limites et ses vecteurs, son manque de consistance : Les deux cautions sunnites inamovibles du pouvoir alaouite, pendant trente ans, le général Moustapha Tlass, ministre de la Défense, et Abdel Halim Khaddam, ministre des Affaires étrangères, deux personnalités de premier plan, présumées socialistes du régime baasiste, céderont finalement aux sirènes des pétrodollars saoudiens, avant de se désintégrer.
Le militaire laissera convoler sa fille Nahed, une belle tige de la société syrienne, vers le septuagénaire marchand d’armes saoudien Akram Ojjeh, avant de sombrer dans le comique d’un problématique doctorat universitaire parisien, tandis que le diplomate laïc versait dans l’affairisme Haririen et l’intégrisme religieux des « Frères Musulmans », avant de se carboniser.

Détail piquant, l’homme en charge du dossier libanais en Syrie pendant trente ans, celui-la même qui était craint par les diverses factions libanaises et redouté par les chancelleries arabes et occidentales qui tonnait la foudre et ordonnait les accalmies, à ce titre responsable au premier chef des dérives syriennes au Liban, le vice-président de la République Abdel Halim Khaddam, sera promu comme sauveur suprême de la Syrie et du Liban. Il se retrouvera relégué aux oubliettes de l’histoire lâché par tous, y compris par ses nouveaux alliés, l’organisation des « Frères musulmans », celle là même qui s’était lancée à l’assaut du pouvoir, en février 1982, en vue de faire trébucher le régime baasiste dont il était un des piliers, à quatre mois de l’invasion israélienne du Liban.
Le bien nommé Khaddam, dont le patronyme en arabe signifie littéralement « le serviteur », reniera singulièrement son militantisme après avoir abusivement ponctionné le Liban, opérant par cupidité la plus retentissante reconversion de l’histoire politique récente, finissant sa vie en factotum de son coreligionnaire sunnite libanais Rafic Hariri. Amplement gratifié de sa forfaiture d’un somptueux cadeau, -la résidence du nabab pétrolier grec, Aristote Onassis, sur la plus célèbre artère de la capitale française, l’Avenue Foch—le renégat devra livrer bataille devant la justice française afin de se maintenir dans les lieux, alors que son pendant français, l’ancien président Jacques Chirac avait droit à un appartement avec vue sur Seine Quai Voltaire à Paris. Judas a trahi son Seigneur pour trente deniers. D’autres trahisons valent certes leur pesant d’or mais accablent le renégat d’un discrédit pour l’éternité.
Éternel trouble-fête de la politique arabe, la Syrie, sur la sellette après l’implosion de l’Irak en 2003, opérera, parallèlement, un rétablissement spectaculaire, déjouant la manœuvre d’étranglement dont elle était l’objet de la part des grands pays arabes sunnites en vue de provoquer sinon l’effondrement du régime baasiste, à tout le moins la rupture de son alliance stratégique avec l’Iran.

Unique pays se réclamant de la laïcité dans le Monde arabe, mais, paradoxalement, partenaire stratégique de l’unique régime théocratique se réclamant du chiisme, la République Islamique d’Iran, la branche rivale du sunnisme, segment dominant dans les pays arabes, la Syrie a été, simultanément et cumulativement accusée d’être un foyer du terrorisme international, un pivot de l’axe du mal, le phagocytaire du Liban et de la Palestine, le fossoyeur du leadership libanais.
Pointée du doigt pour sa responsabilité présumée mais non avérée dans l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri, la Syrie sera mise en quarantaine diplomatique, régulièrement soumise, de surcroît, en toute impunité, à des coups de butoir d’Israël, tantôt par un mystérieux raid aérien au-dessus du nord syrien, à l’automne 2007, tantôt par l’assassinat sur son sol d’un chef militaire du Hezbollah Imad Moughniyeh, le Maître d’œuvre des opérations anti-occidentales au Moyen-Orient depuis vingt ans.

Mais ce paria-là, selon le schéma occidental, s’est trouvé être en phase avec la multitude des « laissés pour compte » de la paix, à tout le moins perçu comme tel, au-delà des turpitudes dont il peut être à tort ou à raison crédité, qui voient en lui l’ultime porteur de la revendication nationaliste arabe, à une période de l’histoire marquée par une déperdition identitaire et une religiosité régressive.

Redoutable honneur qui lui vaut l’hostilité sans nuances des pays qualifiés de « modérés » dans le jargon diplomatique et médiatique occidental, principalement l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Jordanie c’est-à-dire les régimes affligés des mêmes tares d’autoritarisme, de népotisme et de corruption que le régime syrien mais que leur alignement docile au camp occidental exonère de toute critique.
Sous le souffle du boulet, la Syrie pliera mais ne rompra pas, alors que son grand rival arabe l’Égypte se, muait en « passeur de plats » de la stratégie israélo américaine dans la zone.

Le plus grand pays arabe, longtemps cauchemar de l’Occident, se révélera sous Moubarak, un nain diplomatique, le pantin disloqué de la stratégie israélo américaine, curieuse mutation de ce pays en un demi-siècle, de Nasser à Moubarak, illustration pathologique des dérives du Monde arabe, de la confusion mentale de ses dirigeants et de leur servilité à l’ordre occidental, à en juger par leur comportement honteusement frileux durant les deux dernières confrontations israélo-arabes, la guerre de destruction israélienne du Liban, en juillet 2006, et la guerre de destruction israélienne de Gaza, deux ans plus tard, en décembre 2008.
Par un invraisemblable renversement d’alliance qui témoigne du strabisme stratégique de l’Égypte, c’est la Syrie, son ancien partenaire arabe dans la guerre d’indépendance, et non Israël, qui constitue désormais sa bête noire. C’est Gaza, à bord de l’apoplexie, qui est maintenu sous blocus et non Israël, ravitaillé en énergie à des prix avantageux, défiants toute concurrence, sans doute pour galvaniser la machine de guerre israélienne contre un pays sous occupation et sous perfusion, la Palestine.

Le Primus inter pares des Arabes est désormais « le passeur des plat » officiel de la diplomatie israélo américaine. Un triste destin pour Le Caire, Al-Kahira, la victorieuse dans sa signification arabe, ravalée désormais au rang de chef de file de « l’axe de la modération arabe ».
L’ancien chef de file du combat indépendantiste arabe, amorphe et atone, assumant, désormais, sans vergogne, le rôle de chef de file de l’axe de la soumission et de la corruption…l’axe de la résignation et de la capitulation…l’axe de la trahison des idéaux du sursaut nassérien.
Son primat diplomatique est remis en question par l’émergence des deux puissances musulmanes régionales non arabes, l’Iran et la Turquie, dans la suppléance de la défaillance diplomatique arabe, de même que son primat militaire, relégué aux oubliettes par la relève rebelle des artisans victorieux de la nouvelle guerre asymétrique contre Israël, le chiite Hezbollah libanais et le sunnite Hamas palestinien, rendant obsolète la fausse querelle que tentent d’impulser l’Arabie Saoudite et l’Égypte entre les deux branches de l’Islam dans l’espace arabe.

Suprême humiliation, Bachar Al Assad, tant vilipendé par Nicolas Sarkozy au début de son mandat présidentiel, sera l’un des ses principaux interlocuteurs, en fin de mandat, le principal levier de l’influence française au Proche orient depuis le naufrage du projet phare de la diplomatie sarkozienne l’« Union Pour la Méditerranée » et les camouflets successifs que ce « sang mêlé », meilleur allié d’Israël dans l’histoire de la Vme République, subira de la part de son « pays de prédilection », particulièrement ses alliés du Likoud.

N’en déplaise aux analystes occidentaux, le monde arabe est redevable à l’Iran d’un basculement stratégique qui a eu pour effet de neutraliser quelque peu les effets désastreux de la défaite arabe de juin 1967, en substituant un régime allié d’Israël, la dynastie Pahlévi, le meilleur allié musulman de l’état hébreu, par un régime islamique, reprenant à son compte la position initiale arabe scellée par le sommet arabe de Khartoum (Août 1967) des « Trois NON» (non à la reconnaissance, non à la normalisation, non à la négociation) avec Israël, offrant à l’ensemble arabe une profondeur stratégique en le libérant de la tenaille israélo iranienne, qui l’enserrait dans une alliance de revers, compensant, même, dans la foulée, la mise à l’écart de l’Égypte du champs de bataille du fait de son traité de paix avec Israël.

En retour, les Arabes mèneront contre l’Iran, un pays déjà sous embargo, dans une démarche d’une rare ingratitude, une guerre de dix ans, via l’Irak, éliminant au passage le chef charismatique de la communauté chiite libanaise, l’Imam Moussa Sadr (Libye 1978), combattant dans le même temps l’Union soviétique en Afghanistan, le principal pourvoyeur d’armes des pays du champ de bataille contre Israël. Son comportement erratique à l’égard de ses alliés naturels (l’Union soviétique et l’Iran), explique le discrédit du monde arabe sur la scène internationale et une part de son collapsus stratégique.
Comme un pied de nez à l’ensemble arabe, l’Iran, malgré guerres, embargo et ostracisme, accédera au rang de « puissance seuil nucléaire », alors que le Monde arabe, qui a engagé près de deux mille milliards de dollars au titre des dépenses militaires depuis le dernier tiers du XX me siècle, soit environ 50 milliards de dollars par an en moyenne, demeure impotent privé des trois attributs de la puissance moderne, -la capacité de projection de puissance, la capacité de dissuasion nucléaire, la capacité spatiale du renseignement-, autant d’attributs qui lui font cruellement défaut à l’ère de la société de l’information et de son application militaire, l’info guerre.

Strategic Foresight Group (SFG), chiffrait, quant à lui, à douze mille milliards de dollars la somme perdue du fait des guerres qui ensanglantent l’ensemble du Proche-Orient depuis 1991. Ce coût englobant aussi bien les pertes humaines que les dégâts infligés à l’écologie, aux répercussions sur l’eau, le climat, l’agriculture, en passant par la croissance démographique, le chômage, l’émigration, la hausse des loyers, le prix du pétrole, voire même l’éducation.
Plus de cinquante experts d’Israël, des territoires palestiniens, d’Irak, du Liban, de Jordanie, d’Égypte, du Qatar, du Koweït et de la Ligue arabe ont participé à cette étude menée par ce groupe de réflexion basé en Inde et soutenu par la Suisse, la Norvège, le Qatar et la Turquie. Le rapport de 170 pages, publié en 2010, pointe par exemple les centaines de milliers d’heures de travail perdues par les Palestiniens aux check points (barrages israéliens). Il révèle aussi que 91% des Israéliens vivent dans un perpétuel sentiment de peur et d’insécurité.
Sauf à entraîner le monde arabe dans un déclin irrémédiable, une claire rupture avec la logique de la vassalité s’impose, alors que la scène internationale s’achemine vers un choc entre le leader en devenir (la Chine) et la puissance déclinante (les États-Unis), impliquant une vaste redistribution des cartes géopolitiques à l’échelle planétaire.

Le Liban, un vaste cimetière des illusions perdues

Quarante ans après le cataclysme déclencheur, le Liban apparaît comme déconnecté, en proie à l’affairisme, la population atteinte du « syndrome de Beyrouth », sorte de rétrécissement du champ affectif et mental. Hormis la guerre irako iranienne, et sous réserve du bilan final de la guerre de Syrie, la guerre du Liban revendique, par son bilan (150.000 morts), l’un des plus forts taux de mortalité des conflits régionaux contemporains, infiniment plus élevé que la totalité des guerres arabo israéliennes combinées.

Légendaire symbole du Liban, la qualité de vie a été viciée par des politiciens cupides et avides. Le pays du lait et du miel tant vanté par la Bible a été transformé en un dépotoir nucléaire, cruelle ironie du sort, avec la complicité d’hommes en charge de l’environnement, avec à l’horizon un risque de désertification du fait d’incendies périodiques de nature criminelle. Le patrimoine archéologique des vieux quartiers de la capitale, -la célèbre Beryte et sa faculté de Droit de l’époque romaine- risque une dénaturation par de lucratifs projets d’urbanisation moderniste.

Quarante après, la guerre du Liban apparaît ainsi, rétrospectivement, comme l’histoire d’un incommensurable gâchis et le Liban un gigantesque cimetière des illusions perdues. De ce naufrage ne subsiste que la place de Beyrouth dans la mémoire collective arabe, la mère de toutes villes du récit de la résistance arabe dans sa double, version Beyrouth ouest, en 1982, et Beyrouth sud, en 2006, le Vietnam d’Israël, son titre de gloire qui passera à la postérité.

Beyrouth, immarcescible

Beyrouth revendique, en effet, le privilège unique au Monde d’avoir symbolisé, à deux reprises dans l’histoire contemporaine, la résistance arabe à l’hégémonie israélo américaine. La première fois, en 1982, lors du siège de la capitale libanaise par le général Ariel Sharon, du temps où le sunnisme s’identifiait au combat nationaliste, depuis le fief du sunnisme libanais à Beyrouth Ouest.
La deuxième fois, en 2006, depuis Beyrouth Sud, cette fois, (Ad Dahyah al Jounoubiyah, littéralement la banlieue sud de la capitale), le fief chiite de la capitale, du temps du coma du général Ariel Sharon, où le chiisme libanais suppléant la vassalisation du sunnisme arabe à l’axe israélo américain prenait sa relève en vue de pérenniser le combat nationaliste arabe.

C’est Beyrouth, jadis symbole de la douceur de vivre, qui livrera face à un immobilisme arabe quasi-général un combat solitaire contre les assaillants israéliens, en 1982, pour que cette ville qui fut pendant un quart de siècle le vivier du nationalisme militant échappe au déshonneur de la capitulation.
C’est Beyrouth, encore une fois, qui lavera l’honneur arabe, en 2006, sous l’égide du moine soldat de l’Islam moderne Hassan Nasrallah, infligeant un camouflet aux Israéliens, rééditant son exploit 24 ans après, en dépit de la complicité d’une large fraction des pays arabes.
Au-delà de ces tragiques événements, un fait demeure, toutefois, lourd de conséquences pour l’avenir : Pour la première fois dans l’Histoire, l’unique président chrétien du Monde arabe aura été ostracisé du fait de la France, traditionnelle protectrice des Chrétiens arabes et la vacance de pouvoir qui s’est ensuivi, a constitué un dangereux précédent lourd de conséquences.

Ce bilan est à mettre, au premier chef, au passif de Jacques Chirac, sans qu’il ait été possible d’établir avec certitude si l’initiative du président français de l’époque était commandée par un grand dessein de la France ou commanditée par un devoir de gratitude à l’égard de son bienfaiteur. Un devoir d’un commandité à l’égard de son hôte obligeamment hospitalier, au-delà de son assassinat, maintenant, au-dessus du Liban, une « épée de Damoclès », matérialisée par le Tribunal Spécial sur le Liban, dont le verdict pré déterminé fait planer des risques non seulement sur le Liban, mais sur la famille de son propre bienfaiteur, en ce qu’il confie à son héritier la responsabilité de la mise à mort, symbolique, de l’unique formation politico-militaire arabe victorieuse d’Israël. Une mission suicidaire, s’il en est, par sa perversité.

Quoiqu’il en soit, une brèche constitutionnelle s’est ouverte, qui devrait conduire les nostalgiques du Liban d’antan à se résoudre à l’évidence. Le Liban ne sera plus ce que son géniteur -la France- a voulu qu’il soit : un foyer chrétien, principalement Maronite, en Orient au bénéfice exclusif de la politique occidentale.
Conscience critique de toute une génération politique, soupape de sécurité des gouvernements arabes pendant un demi siècle, pacifiée, normalisée, reconstruite par Rafic Hariri, à nouveau détruite par Israël, Beyrouth, immarcescible, demeure le pôle de référence inoxydable de la combativité libanaise et arabe, exerçant désormais une fonction traumatique à l’égard des Israéliens, au grand désespoir des Occidentaux, de leurs alliés arabes et du Clan Hariri au Liban.
Sic Transit Gloria Mundi… Ainsi passent les gloires de ce monde.

Pour aller plus loin
Le tribunal Spécial sur le Liban
Illustration

1982. La devanture de la librairie après les combats qui ont embrasé le centre-ville. (©Archives famille Naufal)