Tuesday, December 3, 2024
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Le contournement du dernier récalcitrant arabe

La Syrie est, à son tour, sur la sellette, après l’Irak qui a implosé en 2003, la Libye qui s’est…

Par : René Naba - dans : Diplomatie Moyen-Orient - le 19 mars 2008

La Syrie est, à son tour, sur la sellette, après l’Irak qui a implosé en 2003, la Libye qui s’est caramélisée, en 2006, dans la foulée de sa reddition au diktat américain pour sauver son révolutionnaire dirigeant Mouammar al-Kadhafi et l’Egypte qui s’est neutralisée et marginalisée du fait de sa cavalcade solitaire dans sa pactisation avec Israël, en 1979.

L’éternel trouble fête de la politique arabe fait l’objet d’une manoeuvre de contournement de la part des grands pays arabes en vue de provoquer sinon l’effondrement du régime baasiste, à tout le moins à le forcer à rompre avec son allié iranien et à annoncer sa reddition au nouvel ordre américain que les Etats-Unis et leurs grands alliés régionaux, l’Arabie saoudite et l’Egypte, tentent vainement d‘instaurer au Moyen-Orient depuis le début de la présidence de George Bush il y a huit ans.

Unique pays se réclamant de la laïcité dans le Monde arabe, mais partenaire stratégique de l’Iran, l’unique régime théocratique se réclamant du chiisme, la branche rivale du sunnisme, segment dominant dans les pays arabes, la Syrie est simultanément et cumulativement accusée d’être un foyer du terrorisme international, un pivot de l’axe du mal, le phagocytaire du Liban et de la Palestine, le fossoyeur du leadership libanais. En un mot le grand perturbateur d’une paisible et riante zone par excellence: le Moyen-Orient. Une thèse relayée sans retenue et avec une belle unanimité par les grands médias occidentaux tant dans la presse audiovisuelle que dans la presse écrite, tant par les intellectuels médiatiques que par les scribouillards besogneux.

Pointée du doigt pour sa responsabilité présumée mais non avérée dans l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri, la Syrie est mise en quarantaine diplomatique par les Etats-Unis, frappée d’un boycottage de fait des grands pays arabes qui lui imputent la vacance du pouvoir au Liban, régulièrement soumise de surcroît, en toute impunité, à des coups de butoir d’Israël, tantôt par un mystérieux raid aérien au dessus du nord syrien, à l’automne 2007, tantôt par l’assassinat sur son sol d’un chef militaire du Hezbollah Imad Moughniyeh, le Maître d’oeuvre des opérations anti-occidentales au Moyen-orient depuis vingt ans.

Mais ce paria là, selon le schéma occidental, se trouve être en phase avec la multitude des «laissés pour compte» de la paix, à tout le moins perçu comme tel au delà des turpitudes dont il peut être à tort ou à raison crédité, qui voient en lui l’ultime porteur de la revendication nationaliste arabe, à une période de l’histoire marquée par une déperdition identitaire et une religiosité régressive. Redoutable honneur qui lui vaut l’hostilité sans nuances des pays qualifiés de «modérés » dans le jargon diplomatique et médiatique occidental, principalement l’Arabie saoudite, l’Egypte, la Jordanie c’est-à-dire les régimes affligés des mêmes tares d’autoritarisme, de népotisme et de corruption que le régime syrien mais que leur alignement docile au camp occidental exonère de toute critique.

1ère séquence (1966-1976): Le Roi Saoud et le coup de force anti-baasiste du colonel Salim Hatoum

D’emblée, le régime baasiste syrien dirigé par les Alaouites, une secte minoritaire de l’Islam, a été perçu comme un usurpateur, comme frappé d’une tare congénitale et fera l’objet de menées hostiles en conséquence. A sa naissance en 1966, alors qu’Israël entreprenait le détournement des eaux du Jourdain pour anticiper ses besoins hydrauliques futurs, opération qui relevait théoriquement d’un acte manifeste de casus belli, le Roi Saoud d’Arabie, hanté par le prestige du président égyptien Nasser et désireux de détourner les regards sur la corruption du Royaume, se lance dans une opération de déstabilisation de la jeune équipe baasiste de Syrie fraîchement parvenue au pouvoir. L’opération saoudienne de diversion est particulièrement malvenue en pleine ébullition nationaliste consécutive au détournement des eaux du Jourdain. Les révélations d’un des participants sur une contribution royale saoudienne de l’ordre d‘un million de dollar à la conjuration dirigée par un colonel félon syrien Salim Hatoum et fomentée par le futur premier ministre jordanien Wasfi Tall, à l’époque membre de l’Intelligence Service britannique (1) entraîne l’éviction de Saoud au profit de Fayçal au trône d’Arabie, sans que cette sanction ne calme le courroux égyptien. Victime collatérale des conflits de puissance, Kamel Mroueh, le fondateur du journal «Al-Hayat», le chantre de la coopération saoudo-américaine, est assassiné en 1966 par un fier à bras de Beyrouth à l’occasion du 10me anniversaire de l’agression tripartite franco-anglo-israélienne de Suez contre Nasser, le chef charismatique du nationalisme arabe et adversaire résolu de la dynastie wahhabite.

Une trêve de seize ans s’installe à la faveur de la guerre de 1967 et la montée en puissance de la guérilla palestinienne qu’il importait de juguler, que la Syrie s’appliquera à mettre au pas d’ailleurs, puis celle d’octobre 1973 et de la montée en puissance des pétromonarchies du Golfe consécutif à l’embargo pétrolier et au quadruplement du prix du pétrole. Une période au cours de laquelle le nouveau maître de la Syrie, le général Hafez al-Assad, apparaît comme le meilleur garant des intérêts occidentaux au Liban: Appelée en renfort des milices chrétiennes au Liban, l’armée syrienne participe au siège du camp palestinien de Tall Zaatar, favorisant son éradication, en Août 1976, n’hésitant pas un instant à briser l’élan révolutionnaire du camp palestino-progressiste avec l’assassinat dans une zone sous contrôle syrien du chef de la coalition, le dirigeant druze du parti socialiste progressiste, M. Kamal Joumblatt.

Curieusement les pays occidentaux continueront de couvrir d’éloge l’irakien Saddam Hussein, malgré ses turpitudes et d’opprobre son rival syrien Hafez al-Assad, malgré ses gestes de bonne volonté répétitives à l’égard de l’Occident.

2ème séquence (1976-1986) Fahd et la révolte des Frères Musulmans de la ville syrienne de Hama.

Faysal, réservé à l’égard des Américains, s’était juré d’aller prier à Jérusalem libérée. Il sera assassiné par l’un de ses neveux, en 1976. Son successeur effectif, -après le bref interrègne du Roi Khaled, sobre et malade-, Fahd, à la jeunesse débridée, donnera libre cours à son amour immodéré pour son protecteur américain et les délices de la vie occidentale. Frappé d’hémiplégie, en 1995, il sera maintenu sous perfusion pendant près de dix ans gouvernant en état léthargique son royaume à une période charnière de l’Histoire contemporaine marquée notamment par les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001, la guerre d’Afghanistan et la guerre d’Irak (2003). Mais entre temps que de signalés services rendus à son maître américain, au détriment de la plus élémentaire solidarité arabe, qui explique sans pour autant justifier son maintien en survie artificielle pendant une décennie (1995-2005).

Prise en tenaille par Israël et la Turquie, barrée par son rival baasiste l’Irak de Saddam Hussein, la Syrie s’appliquera à desserrer l’étau dans une alliance de revers avec l’Iran, l’ancien gendarme américain du Golfe, devenu sous le régime Khomeiniste, le nouveau croquemitaine des pétromonarchies du Golfe. Mal lui en prit. En 1982, dans la foulée de l’annexion de Jérusalem, en décembre 1981, alors qu’Israël se préparait à porter au pouvoir son protégé libanais le chef phalangiste Bachir Gemayel, une révolte est fomentée, à Hama, dans le nord de la Syrie, par les «Frères Musulmans», l’organisation clandestine financée par l’Arabie Saoudite, en février 1982, à quatre mois de l’invasion israélienne du Liban, déclenchant une sévère répression qui fera selon des informations de presse plusieurs milliers de morts. C’est Damas qui sera blâmée par la communauté internationale pour sa férocité et non l’Arabie saoudite qui attisait le feu intégriste. C’est le président Hafez al-Assad en personne qui sera pointé du doigt et non son propre frère, le Général Rifaat al-Assad, le chef des brigades de la défense, la garde prétorienne du régime, l’ordonnateur des massacres.

Ce frère cadet du président syrien, un homme aux multiples ramifications et trafics qui sera banni par la suite de son pays, mais continuera de bénéficier curieusement de la mansuétude occidentale sans doute en raison de ses alliances matrimoniales avec la famille Fustock qui fera de lui, le beau frère de l’actuel roi Abdallah d’Arabie et du député maronite libanais Nassib Lahoud, perpétuel candidat à la présidence libanaise. C’est la Syrie alaouite enfin qui sera déclarée «ennemi de l’Islam» pour avoir maté une rébellion fondamentaliste que toutes les armées du monde aussi bien arabes qu’occidentales pourchassent désormais au nom de la «guerre contre le terrorisme». La Syrie couverte de plumes et de cendres, alors que l’Algérie, l’Egypte, le Maroc et la Tunisie, sont magnifiés pour avoir éradiqué l’intégrisme tandis que l’Arabie fondamentaliste est couverte d’éloges pour ses présumés progrès dans de parcimonieuses réformes démocratiques.

Dans ce climat d’opprobre généralisé, la Syrie présente au Liban depuis 1976 à la demande des chefs maronites en mauvaise posture à l’époque, sera contrainte à retirer se troupes, en juin 1982, dans la foulée de l’invasion israélienne du Liban. Une décennie infernale (1979-1989) s’ouvre alors à l’Occident au Moyen Orient: Destitution du chah proaméricain et assaut contre les Lieux Saints de la Mecque, en 1979, assassinat de l’égyptien Sadate, pactiseur d’Israël, en 1981, mise en échec du traité de paix libano-israélien, en 1983, attentats contre les QG occidentaux à Beyrouth, en 1984, spirale des otages occidentaux au Liban (1984-1988), attentats de Paris (1986-1988). Une décennie infernale qui s’achève avec la chute du Mur de Berlin (1989) l’implosion de l’Union soviétique et l’affirmation de l’Imperium américain sur le plan mondial, l’hégémonie israélienne sur le plan régional et, sur le plan arabe, la prépondérance saoudienne sous la tutelle des Etats-Unis.

3ème séquence (1986- 2006) – L’Arabie redécouvre les vertus de l’Arabisme

L’Arabie saoudite, le plus intransigeant ennemi d’Israël sur le plan théorique, aura opéré le plus grand détournement du combat arabe, soutenant l’Irak contre l’Iran dans la plus longue guerre conventionnelle de l’histoire contemporaine (1979-1988), le détournant du coup du champ de bataille principal, la Palestine, déversant des milliards de dollars, et, surtout, déroutant la jeunesse arabe et musulmane vers l’Afghanistan, à des milliers de km du champ de bataille palestinien, contre un ennemi athée certes mais allié des Arabes, l’Union soviétique, le principal fournisseur d’armes de pas moins de six pays arabes (Syrie, Irak, Algérie, Libye, Soudan et Yémen), un utile contrepoids en somme à l’hégémonie américaine.

L’Organisation de Libération de la Palestine, éradiquée du Liban, cède la place à des guérilleros d’un type nouveau les combattants islamistes chiites, le Jihad islamique, puis le Hezbollah, galvanisés par les succès de la révolution iranienne sur le front irako-iranien. La Syrie, boutée hors du Liban, en 1982 s’y redéploie progressivement avec le consentement américain pour neutraliser la région frontalière libano-israélienne.

Désireuse d’obtenir la caution de la Syrie pour une intervention contre l’Irak envahisseur du Koweït, en 1990, Washington lui donnera même le feu vert à l’éviction du chef militaire chrétien libanais le général Michel Aoun, qui assurait intérimaire de chef de gouvernement, et son remplacement par Elias Hariri, un Elias Hraoui (bien Hraoui et non Hariri) , un président sans relief face au flamboyant nouveau premier ministre Rafic Hariri (1992), nouveau parvenu sur la scène libanaise à la faveur de la financiarisation de la vie publique internationale. Le milliardaire libano-saoudien, à la carrière météorique, exercera le pouvoir pendant dix ans, plus qu’aucun président libanais, à coups de menaces de démission (4 en dix ans), soit en moyenne une menace tous les 30 mois, dans un rare exemple de confusion entre la gestion du domaine public et de son de son patrimoine privé avec les encouragements admiratifs des dirigeants occidentaux en tête desquels le Président français Jacques Chirac.

L’attentat du 11 septembre 2001 contre les symboles de l’hyperpuissance américaine démasque les complicités saoudiennes dans la montée en puissance de l’intégrisme antioccidental. Bien que quinze des dix neuf kamikaze ayant participé au raid du 11 septembre soient de nationalité saoudienne, l’administration Bush, plutôt que de frapper le Royaume Wahhabite, le foyer et le terreau du fondamentalisme, va répliquer en Afghanistan et en Irak, les deux points de percussion de la coopération saoudo-américaine dans la sphère arabo-musulmane à l’époque de la guerre froide soviéto-américaine, gommant ainsi au passage toute trace de leurs forfaits antérieurs, se faisant à bon compte une nouvelle virginité politique sous la bannière de la lutte pour la promotion de la démocratie dans le monde musulman. Mais la destruction de l’Irak place paradoxalement la Syrie et l’Iran en vainqueur a posteriori d’un Saddam Hussein leur plus implacable ennemi depuis deux décennies, et, par effet d’aubaine, consacre l’Iran comme puissance régionale de fait. Un résultat inacceptable pour George Bush, le grand ordonnateur de ce chaos destructeur pour la population locale et corrosif pour l’Amérique elle-même.

La Syrie et l’Iran sont placés dans l’axe du mal, Yasser Arafat est méthodiquement confiné dans son complexe de Ramallah dans une sorte d’étouffement symbolique de la revendication nationale palestinienne. Le décès du chef historique de la Résistance palestinienne au terme de trois ans de confinement hideux (novembre 2004) , l’élection dans la foulée deux mois plus tard à Bagdad, l’ancienne capitale des abbassides, d’un Kurde à la tête d’un Etat irakien doté d’un nouvel emblème aux couleurs kurdo-israéliennes (Bleu jaune) (Janvier 2005), le basculement dans le camp américain de Jacques Chirac, le principal opposant mondial à l’invasion américaine de l’Irak, accrédite à tort ou à raison l’idée d’une vaste conjuration occidentale visant à mettre au pas tout récalcitrant à l’ordre américano-israélien dans la zone (septembre 2004).

A l’instar du journaliste pro saoudien Kamel Mroueh, quarante ans plus tôt, Rafic Hariri, le meilleur ami du président français Jacques Chirac, l’homme lige des Saoudiens qui symbolisait par excellence le ralliement au camp occidental, sera à son tour une victime collatérale du conflit des puissances. Il périra carbonisé dans un attentat le 14 février 2005, terrible séisme politique qui met en branle une mécanique inéluctable contre la Syrie et l’Iran.

Pour la deuxième fois de son histoire, l’armée syrienne est contrainte de se retirer du Liban. Le principe d’un tribunal à caractère international est décidé pour juger les assassins de l’ancien premier ministre libanais, au terme d’une enquête diligentée par un fonctionnaire missionné par les Nations Unies. Un tel dispositif, singulier dans les annales judiciaires internationales, ne sera curieusement pas imposé au Pakistan lors de l’assassinat de l’ancien premier ministre Benazir Bhutto, en décembre 2007. Le président pakistanais, il est vrai, est gratifié du titre d’ «allié majeur des Etats-Unis» dans sa guerre contre le terrorisme, qui confère à son titulaire une immunité et le dispense de fastueuses explications. Ce qui n’est pas le cas de la Syrie et de l’Iran.

Le tribunal international pour le Liban et la menace potentielle nucléaire iranienne constituent les deux instruments de la diplomatie occidentale pour amener à résipiscence les deux réfractaires à l’ordre américain, quand bien même la menace nucléaire iranienne se trouve au stade virtuel et sa réalité contestée par les services américains, quand bien même elle est postérieure de soixante ans à la menace nucléaire israélienne, bien réelle, qui hypothèque tout règlement qui ne souscrirait pas au diktat israélo américain.

Israël et les alliés Libanais de l’Amérique subiront cumulativement revers militaires et camouflets politiques depuis 2006, entravant considérablement la mise au pas du Liban, au-delà, la Syrie, l’Iran et la portion palestinienne sous l’autorité du Hamas. C’est ainsi que dans une démarche symétrique mais non synchronisée, le Hezbollah infligera en effet à Israël, l’été 2006, un retentissant camouflet militaire, dont le Hamas s’en inspirera avec succès en mars 2008 au moment de l’invasion de la bande par les forces d’occupation israéliennes, alors que parallèlement les dirigeants maronites, Nassib Lahoud et Amine Gemayel étaient battus répétitivement dans une compétition électorale, dans leur propre fief du Metn, par le principal allié chrétien du Hezbollah le Général Michel Aoun, un échec comparable au revers électoral du président palestinien Mahmoud Abbas face à ses opposants islamistes. Une séquence à tous égards calamiteuse pour l’administration néo-conservatrice américaine.

Le Royaume wahhabite vit comme une rente de situation l’Islam et le pétrole, les deux vecteurs de sa puissance. Puisant son magistère moral de la présence sur son sol des principaux Lieux Saints de l’Islam (La Mecque et Médine), et sa puissance financière de ses gigantesques réserves énergétiques, il consacrera l’essentiel de ses efforts à combattre plus qu’aucun autre pays le nationalisme arabe, mettant sur pied l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), une structure de diplomatie parallèle concurrente de la Ligue arabe. Dans la foulée du revers militaire israélien au Liban, l’été 2006, il se muera, à la grande stupéfaction de la quasi-totalité des observateurs internationaux, en parangon de l’Arabisme. Le chantre de la fraternité islamique pendant trois décennies, accusera, sans vergogne, la Syrie d’avoir pactisé avec l’Iran, la perse antique, pays musulman certes mais non arabe. Une tare indélébile pour le nouveau porte-étendard de l’arabisme

Le «péril chiite» succède alors au «péril rouge» qu’Américains et Saoudiens avaient combattu sans relâche, les décennies précédentes. Dans la foulée du revers militaire israélien au Liban, l’été 2006, l’Arabie se redécouvre arabe pour se démarquer du triomphe du Hezbollah, la milice chiite Libanaise. Négligeant son premier vecteur transnational MBC (Middleast Broadcasting Corporation), elle se sera dotée auparavant d’une chaîne transfrontière du nom d’«Al-Arabiyah» comme pour mieux revendiquer son arabité, un terme qu’elle avait pourtant banni de son lexique diplomatique pendant un demi-siècle. Ce comportement s’apparente à une mystification. Mais le Royaume qui aura lancé deux plans de paix pour le règlement du conflit israélo-arabe (Plan Fahd, en 1982, Plan Abdallah, en 2002), sans rencontrer le moindre écho tant du côté américain que du côté israélien, ne déviera jamais, malgré cette rebuffade, de sa ligne, à savoir l’alliance privilégiée avec le grand protecteur du principal ennemi des Arabes, Israël, l’usurpateur de la Palestine au regard d’une large fraction de la population saoudienne et arabe, faisant droit à toutes ses requêtes sans hésitation sans la moindre retenue.

Et pour cause. La dynastie wahhabite aura été le principal bénéficiaire du travail de sape opéré depuis trente ans par les Américains et les Israéliens pour réduire la résistance du noyau dur du Monde arabo-islamique: neutralisation de l’Egypte par le Traité de paix avec Israël (1979), destruction de l’Irak (2003), étranglement de la Syrie (2004), caramélisation de la Libye (2005), isolement de l’Iran (2006) au point qu’Israël apparaît en fin de compte comme le meilleur allié objectif des Wahhabites, rare conjonction de deux régimes théocratiques dans le Monde, l’Etat Hébreu n’étant démocratique que pour la fraction juive de sa population. Dans ce contexte, l’Organisation clandestine «Al-Qaida» d’Oussama Ben Laden et la chaîne transnationale arabe «Al-Jazira» apparaissent, rétrospectivement, comme une excroissance rebelle à l’hégémonie saoudienne sur l’ordre domestique arabe, tant dans le domaine politique que sur le plan médiatique

Le sommet de Damas et la concentration navale américaine au large du Liban

Le Sommet arabe de Damas, le premier de l’histoire contemporaine à se tenir dans la capitale le syrienne, devrait symboliquement réunir la Syrie face à tous ses adversaires réunis. Mais les deux patriarches octogénaires arabes, l’égyptien Hosni Moubarak hanté par l’obsession de sa sécurité du fait des nombreux attentats dont il a été l’objet, une vingtaine en 27 ans de règne, et le saoudien Abdallah, tous deux préoccupés de leur succession pourraient le boycotter arguant du blocage de la situation libanaise dont ils imputent la responsabilité à la Syrie, exclusivement à la Syrie, et non également à leurs interférences permanentes sur la scène libanaise d’une intensité comparable à celle de la Syrie, matérialisée par les injections financières régulières de l’Arabie pour le réarmement des milices privées sunnites, leur entraînement en Jordanie et leur encadrement par l’Egypte (2).

La concentration navale américaine au large de Beyrouth a officiellement pour objet de faire pression sur la Syrie et l’opposition libanaise pour faciliter l’élection d’un président de consensus pro-occidental au Liban. Elle vise en fait à percer la carapace du noyau dur du monde arabo-musulman par son maillon faible, le Liban où les pays occidentaux disposent d’une large gamme d’alliés recrutés parmi les anciens chefs de guerre féodaux et claniques, les Chrétiens Samir Geagea et Amine Gemayel, le druze Walid Joumblatt ainsi que leur principal bailleur de fonds, le sunnite Saad Hariri, tous opportunément reconvertis dans la défense de la Démocratie qu’ils n’ont jamais pratiqué et la défense des Droits de l’Homme qu’ils ont constamment bafoués.

Détail piquant qui illustre l’indigence de la «diplomatie du carnet de chèques» maniée de tous temps par les Saoudiens: l’homme en charge du dossier libanais en Syrie pendant trente ans, celui-la même qui était craint par les diverses factions libanaises et redouté par les chancelleries arabes et occidentales qui tonnait la foudre et ordonnait les accalmies, à ce titre responsable au premier chef des dérives syriennes au Liban, le vice-président de la République Abdel Halim Khaddam.

M. Khaddam, le bien nommé, dont le patronyme en arabe signifie littéralement «le serviteur», reniera singulièrement son militantisme après avoir abusivement ponctionné le Liban, opérant par cupidité la plus retentissante reconversion de l’histoire politique récente, finissant sa vie en factotum de son coreligionnaire sunnite libanais Rafic Hariri. Le millardaire libano-saoudien gratifiera amplement ce transfuge de son reniement en lui offrant la résidence du nabab pétrolier grec Aristote Onassis sur la plus célèbre artère de la capitale française, l’Avenue Foch, alors que son pendant français, l’ancien président Jacques Chirac avait droit à un appartement avec vue sur Seine Quai Voltaire à Paris. Judas a trahi son Seigneur pour trente deniers.
D’autres trahisons valent certes leur pesant d’or mais accablent le renégat d’un discrédit à vie.

Ramollir le noyau dur du Monde arabe par l’invasion répétitive de Gaza, fief du mouvement islamiste Hamas, le harcèlement du Hezbollah par des opérations de diversion des politiciens libanais, la neutralisation de la constellation du Douwal al Moumanah, l’alliance de fait entre le Hamas palestinien le Hezbollah libanais, la Syrie et l’Iran qui se considère comme le système de pré alerte visant à immuniser le monde arabo-musulman contre le virus de la soumission à l’hégémonie israélo-américaine. Epuiser le dernier îlot de résistance en prélude à une éventuelle offensive contre l’Iran qui donnera la possibilité à George Bush d’opérer une magistrale culbute, passant, de par son piètre bilan, de pire président des Etats-Unis, au plus grand génie politique de l’histoire contemporaine. Donne crédit supplémentaire à cette hypothèse, la démission à la mi-mars de l’amiral William Fallon, commandant en chef du commandement central, la zone couvrant l’arc de crise allant de l’Afghanistan au Maroc, en désaccord avec la stratégie de l’administration néo-conservatrice.

Le Monde arabe constitue avec l’Amérique latine l’une des rares de zone de contestation de l’hégémonie américaine. Au delà des vives critiques fondées et justifiées sur les turpitudes syriennes, l’hermétisme de son régime, son autarcie, sa bureaucratie et son népotisme, comparables en cela aux autres régimes arabes même les plus proches de la grande démocratie américaine, si l’implosion du Liban venait à surgir entraînant dans son sillage le collapsus de la Syrie, une longue période de servitude et de tribalisation s’ouvrirait alors pour les Arabes, Sunnites et Chiites, Salafistes ou Soufistes, Malekites, Chaféites, Hanafites ou Hanbalites, Kurdes et Druzes, Alaouites et Wahhabites, voire même Maronites.

Et Le Liban chéri ne sera plus qu’un «Hariristan» à l’image du Kurdistan irakien, voire même du bantoustan palestinien que les Israéliens et les Américains s’appliquent à édifier sur les lambeaux de la Palestine. Et la perte du Liban sera alors pleurée comme l’aura été la perte de la Palestine, comme auparavant la perte de l’Andalousie: abondamment

Avec pour reliquaire, en guise de méditation aux apprentis sorciers qui sillonnent ce pays depuis si longtemps en toute impunité, cette apostrophe du poète français Jean Racine:

Pleure, Pleure cette nuit cruelle
Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle.

Références

1-La Révolution dans la rancoeur» (Editions Julliard 1967), ouvrage épuisé, du journaliste libanais Edouard Saab, ancien Rédacteur en chef de l’Orient – Le Jour et ancien correspondant du journal Le Monde au Liban, tué durant la guerre civile libanaise.

2-Les étranges alliances des groupes radicaux islamistes. Enquête sur l’implantation d’Al-Qaida au Liban cf Le Monde diplomatique-février 2008 de Fida’a Itani
Sur le même thême,
-Cf aussi l’article de Seymour Hersch dans le New Yorker (mars 2007) sur les affrontements du camp palestinien de Nahr el Bared, nord du Liban, entre l’armée libanaise et des groupés armés palestiniens sunnites. Affrontements de trois mois particulièrement meurtriers pour l’armée libanaise qui se sont achevés par la reddition du camp mais l’évaporation mystérieuse du chef du commando palestinien,
-ainsi que ”The Middle East, the Gaza Bombshell” by David Rose – April 2008- Vanity Fair.

Comments


  • Article tres interessant. cela donne une bonne vue globale du moyen-orient

    je pesne que vous avez tapé Elias Hariri à la place de Elias Hraweh.

  • Ah Oui,bien vu !

    En effet, même moi qui suis rédactrice et qui à pour habitude de faire attention à la moindre petite erreur de frappe, bein je n’avais guerre prêter attention à ce petit détail, qui n’en ait pas moins important.

    Cela dit, je suis d’accord avec vous. Cet article est très pertinent.

    Bonne continuation !

  • merci de votre vigilance visiteur nocturne mais non noctambule….. à en juger par votre perspicacité à dénicher ma coquille.

    J’en conviens, une coquille, s’est, en effet, glissée dans l’orthographe du nom de l’ancien président libanais Elias Hraoui, bien Elias Hraoui(1990-2000) et non Elias Hariri..

    Mais vous conviendrez avec moi que mon erreur involontaire ne dénature pas profondémment la réalité tant il est vrai que le président Hraoui était l’ombre portée de son premier ministre Rafic Hariri qui se vivait à l’époque comme le président effectif du Liban, à la grande satifaction de son ami français le Président Jacques Chirac.

    Cette discrétion explique que la prorogation de son mandat de trois ans n’a pas donné lieu à un branle bas diplomatique international comparable à celui qui a accompagné la renouvellement partiel du mandat de son successeur Emile lahoud, à la personnalité plus consistante.

    Le lapsus est involontaire mais significatif.

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