La Libye sur la défensive, un an après le raid américain contre Tripoli
Panorama | AFP Tripoli (1987, En compagnie d’un soldat libyen après un raid de l’aviation française en soutien aux troupes tchadiennes.)…
Panorama | AFP Tripoli
(1987, En compagnie d’un soldat libyen après un raid de l’aviation française en soutien aux troupes tchadiennes.)
Du raid américain contre Tripoli, il y a un an, Le 14 avril 1986, à la chute de la base aérienne de Wadi Doum et de la palmeraie de Faya-Largeau, en mars 1987, clefs de voûte du dispositif libyen dans le nord du Tchad, la Libye aura vécu une année terrible marquée par une succession d’épreuves militaires et de pressions diplomatiques, qui ont eu pour effet de placer sur la défensive ce pays naguère symbole de l’activisme révolutionnaire.
Un simple coup d’œil au calendrier suffit à illustrer cette pression qui s’est exercée d’une manière continuelle sur la Jamahirya et qui a abouti à l’isolement diplomatique de ce pays jadis très courtisé pour ses subsides pétroliers et aujourd’hui boudé même par certains de ses amis lassés par les nombreuses volte-face de celui qui se pose en chef de file de la lutte anti-impérialiste.
Aux manœuvres américaines en Méditerranée, en Décembre 1985 et Janvier 1986 ont, en effet, succédé les combats navals du Golfe de Syrte, en Mars 1986, puis le raid américain contre Tripoli, en avril de la même année. Cette attaque a du reste constituer la première opération de guerre dont ce pays a été le théâtre depuis la fin de la seconde Guerre mondiale (1939-1945).
Le tout s’est accompagné de mesures de coercition économique: Blocus décrété par les Etats-Unis et mise à l’index décidée par l’Europe occidentale.
Panorama: La Libye sur la défensive (2/6)
Tripoli – Ce qui apparaît comme une mise au pas de la Libye, soupçonnée à la fois d’avoir pris une part active dans des opérations de type terroriste en Europe occidentale et de constituer un facteur de déstabilisation dans le «pré-carré» de la France en Afrique, a coïncidé avec l’effondrement des revenus libyens, –de 20 milliards de dollars en 1981 à 4,6 milliards en 1986—accentuant ainsi ses difficultés économiques et par voie de conséquence alourdissant le climat politique dans le pays.
Pire: Avec la série de revers militaire qu’elle a enregistrée au Tchad depuis quatre mois, qui s’est traduite par la perte des trois principales positions au Nord du 16 me parallèle –Fada, Wadi Doum et Faya Largeau—et la défection de la plupart des dirigeants de la coalition de l’opposition tchadienne regroupée au sein du GUNT (Gouvernement d’Union National Transitoire du Tchad), la Libye a réduit quasiment à néant 14 ans d’investissement politique dans ce pays qu’elle souhaitait transformer en Hinterland à sa puissance économique naissante.
Politiquement, la Libye qui disposait il y a un an encore d’un aréopage d’une dizaine de chefs de file de l’opposition tchadienne, allant du chef spirituel des Toubous Goukouni Weddeye, rival du président Hissène Habre, au sudiste le Général Kamougé, ne peut plus compter désormais que sur l’appui du chef d’une faction minoritaire ACheikh ben Omar, tchadien arabisé et ancien marxisant, formé dans les établissements françaises. Elle ne peut donc plus s’en tenir à la fiction d’une guerre inter-tchadienne. La guerre du Tchad a pris en 1987 l’allure d’une guerre tchado-libyenne.
Panorama: La Libye sur la défensive (3/6)
Tripoli – Territorialement, ne subsiste que a célèbre Bande d’Aouzou, que le Colonel Kadhafi a annexé en 1973 à la suite, semble-t-il, d’un accord avec le Président François Tombalbaye. Tout le glacis patiemment édifié des années autour de ce territoire, dont le sous-sol recèlerait d’importants gisements miniers a été perdu entre le 15 Décembre 1986 et fin mars 1987.
Le président Hissène Habré ne cache pas son intention de récupérer Aouzou, mais veille auparavant à s’assurer le soutien de ses alliés occidentaux notamment de la France dans une entreprise qui peut présenter des risques. Les soldats libyens pourraient manifester davantage de pugnacité pour la défense qu’ils considèrent à tort ou à raison comme relevant de leur intégrité territoriale.
La déroute tchadienne, par les pertes matérielles et humaines qu’elle a entraînées, a révélé la vulnérabilité militaire de la Libye en même temps qu’elle va accentuer les difficultés du régime Kadhafi sans pour autant qu’elle ne provoque nécessairement son renversement….comme l’hypothèse a été avancée dans des journaux américains.
C’est que la sociologie politique du Tiers monde n’obéit pas aux mêmes critères que celles en vigueur dans les pays occidentaux. Un tel bilan dans les démocraties parlementaires –où dans les pays gravitant dans leur giron, telle l’Argentine dans l’Affaire des Malouines—aurait entraîné la perte matérielle et morale du responsable politique de ce désastre. Dans le Tiers Monde, les conséquences ne sont pas nécessairement immédiates.
Panorama: La Libye sur la défensive (4/6)
Tripoli- Le Colonel Kadhafi tient les rênes du pouvoir. D’une main de fer d’ailleurs. Six personnes, accusées de subversion, ont été passées par les armes en Février 1987, pour l’exemple.
Sous prétexte de lutte contre la « pollution intellectuelle» et les «séductions de l’étranger», il a coupé son pays du monde extérieur, réduisant les échanges à leur plus simple expression. Il a ainsi imposé à ses concitoyens l’équivalent d’un mois de salaire de base (540 dollars) au titre de l’effort de guerre. Il a banni les publications étrangères et instauré une taxe représentant dix pour cent du prix d’un billet d’avion pour décourager «les candidats au départ».
Pour enrôler ses compatriotes peu enthousiastes aux ambitions qu’ils jugent démesurées de leu chef, le Colonel Kadhafi a lancé une campagne de fortifications des frontières maritimes de la Libye. Mais cette entreprise, annoncée à grands renforts de messages télévisés, n’a recueilli que peu d’échos au sein d’une population qui redoutait, à juste titre, une «mobilisation déguisée» pour la guerre du Tchad.
Le Colonel Kadhafi, qui n’oublie pas qu’il a accédé au pouvoir à la faveur d’un coup d’état, Le 1er septembre 1969, a considérablement renforcé son contrôle sur l’armée que l’on dit mécontente de «l’aventurisme » de ses dirigeants dans le conflit tchadien, comme l’illustre la double défection de pilotes libyens en Egypte en moins d’un mois. Seule force organisée du pays, elle a été placée sous surveillance.
Panorama: La Libye sur la défensive (5/6)
Tripoli – Encadrée de quelque dix mille experts des pays de l’Europe de l’Est, Soviétiques, Allemands de l’Est et Bulgares, l’armée libyenne est privée de munitions, sauf en période d’opérations.
Bien mieux, Le Colonel a ordonné en janvier 1987 le déplacement des quartiers généraux des trois armes (air,terre, mer) dans le centre du pays, a Al-Jofra, dans un périmètre de haute sécurité, sous son contrôle, abritant les postes de commandement névralgique du pays , ainsi que les ministères des Affaires étrangères et de l’Information.
Dans le même temps, il a lancé un vaste débat dans le pays sur la nécessité de constituer un parti unique et de supprimer l’armée régulière comme pour faire planer sur elle la menace de lui substituer une armée parallèle de volontaires animés par les comités révolutionnaires, la garde prétorienne du régime.
Sur le plan personnel, le Colonel, 44 ans, a renoncé à la résidence fixe, désertant son domicile familial de la caserne militaire de Bal El-Azizya, à Tripoli, détruite par le raid américain. Il multiplie les déplacements inopinés et clandestins à l’intérieur de la Libye avec un grand déploiement de mesure de sécurité, logeant de préférence dans les casernes des comités révolutionnaires.
Cette mobilité présente à ses yeux le double avantage de rendre son repérage difficile et dans l’hypothèse d’un putsch, de riposter à partir des nombreux postes de commandement mobiles, qui lui servent de point de chute dans ses déplacements.
Panorama: La Libye sur la défensive (6/6)
Tripoli – Menacé, isole, le Colonel Kadhafi n’en dispose pas moins d’une « capacité de nuisance » notamment en Afrique où les effets cumulés de la corruption et du sous développement ont fragilisé bon nombre de pays, rendant attrayant les mots d’ordre du «Guide de la Révolution» et prudent ses voisins.
Nul d’entre eux n’est à l’abri d’une flambée intégriste ou anti-impérialiste, spontanée ou suscitée.
Adoptant un profit bas, ce qui n’exclut pas des gesticulations destinées à préserver son image de marque –telle son apparition fin mars le lendemain de la chute de Faya-Largeau, sur la place verte de Tripoli, haut lieu du symbolisme révolutionnaire libyen–, le Colonel Kadhafi attend que le souffle du boulet s’estompe et que l’alerte se dissipe avant de riposter.
A cet égard, l’installation d’un millier de soldats Libyens au Soudan en vue de prendre à revers l’armée tchadienne pourrait constituer le prochain abcès de fixation sur le continent africain. A moins que la pression ne continue, ou que l’URSS, son principal partenaire militaire, ne lui préfère un concurrent ou encore que la Libye ne oit prise par défaut.
RN/ Avril 1987