Thursday, November 21, 2024
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La face cachée des relations entre le Maroc et l’Espagne ou les révélations d’un ancien agent secret espagnol

Le chef du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sanchez, doit effectuer une visite officielle au Maroc, le 17 décembre 2020,…

Par : René Naba - dans : Actualités Analyse Diplomatie International Maroc - le 29 janvier 2021

Le chef du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sanchez, doit effectuer une visite officielle au Maroc, le 17 décembre 2020, sur fond de tension renouvelée entre le Royaume chérifien et le Front Polisario, en rapport avec les manœuvres militaires marocaines autour du secteur de Geurgarate, la localité frontalière située à l’extrême sud-ouest du Sahara occidental, sous contrôle marocain, faisan craindre une reprise des hostilités entre les deux protagonistes de ce conflit.

Sur le conflit du Sahara occidental, cf ces liens :

Retour sur la face cachée des relations entre ces deux monarchies sur la base des révélations d’un ancien agent secret espagnol.

  • L’argent affluait vers les mosquées en Espagne depuis les pétromonarchies du Golfe, via des pèlerins.
  • Entre le Maroc et l’Europe, la coopération est tarifée
  • Le grenouillage des services marocains en Espagne, un sujet tabou des hommes politiques espagnols.
  • La préoccupation majeure des services marocains en Espagne: les sympathisants du Polisario et du Rif
Entre le Maroc et l’Europe, la coopération est tarifée.

«La coopération est tarifée entre le Maroc et l’Europe dans le domaine de l’immigration clandestine et le trafic des stupéfiants en ce que le Royaume chérifien est le principal producteur et exportateur de stupéfiants dans le monde», soutient l’agent qui a souhaité gardé l’anonymat.

«Les stupéfiants constituent l’arme privilégiée du Maghzen, pouvoir central, particulièrement l’entourage du souverain, en vue d’obtenir une réciprocité de traitement dans les rapports du Maroc avec les Européens», affirme l’agent qui soutient avoir réussi à infiltrer les services marocains et les islamistes.
«Les annonces répétitives de Rabat concernant le démantèlement de réseaux terroristes au Maroc relèvent d’une tactique visant à contraindre les Européens notamment l’Espagne et la France, à maintenir leur coopération, de même que leurs subventions, en contrepartie d’informations fournies par le Maroc sur les mouvements migratoires et le trafic des stupéfiants», poursuit-t-il.

Troisième membre des services de renseignements espagnols à publier ses mémoires sous couvert d’anonymat, l’auteur précise avoir volontairement brouillé les pistes, modifiant les noms et les lieux de certaines opérations de sécurité auxquelles il a participé en vue de préserver son anonymat.
Pour s’infiltrer dans les milieux islamistes, l’agent s’est présenté comme étant un homme «nouvellement converti à l’Islam, sans éveiller le moindre soupçon…. «partout ailleurs, dans toute autre religion, le néophyte aurait fait l’objet d’une enquête. Si un homme s’était présenté comme «nouvellement converti au judaïsme, il aurait immédiatement éveillé les soupçons et déclenché une enquête en vue de vérifier la véracité de son état. Ce qui n’est pas le cas chez les Musulmans», assure-t-il.

«Bien que non musulman», l’agent affirme avoir «une connaissance de l’Islam infiniment plus vaste que de nombreux musulmans». Il précise avoir infiltré auparavant les milieux gauchistes espagnols, dans une ville dont il ne révèle pas le nom par précaution.
Auprès des gauchistes espagnols, l’agent a pris contact avec le CNI, (Centro Nacional de Inteligencia, CNI), devenu depuis 2002, le service de renseignement et de contre-espionnage espagnol, dirigé par le général d’armée Felix Sanz Rodàn. À la différence de la plupart des autres pays occidentaux, l’Espagne dispose d’un seul service pour le renseignement et le contre-espionnage.
En fin de carrière, l’agent espagnol déclare avoir réussi à infiltrer les services marocains du renseignement: «Le grenouillage des services marocains en Espagne est un sujet tabou au sein du personnel politique espagnol en raison du caractère sensible du sujet», dit-il.
L’agent avoue avoir été «rétribué dans la lutte contre le terrorisme et de l’immigration clandestine.

A un degré moindre dans le domaine de la lutte contre le trafic des stupéfiants en ce que le Maroc est le principal producteur et exportateur» les services de renseignements marocains de drogue dans le monde», explique t-il.

«Contrairement aux déclarations publiques mettant l’accent sur l’importance de la coopération entre l’Espagne et le Maroc, la réalité est différente sur le terrain».

«Les services de renseignements marocains, de même que le ministère des biens religieux, s’emploient, certes, à préserver la communauté musulmane d’Europe, particulièrement la communauté marocaine, de toute tentation intégriste, mais veillent, dans le même temps, à maintenir leur emprise sur cette et communauté, via la religion.»

«Le Maroc peut ainsi mobiliser la communauté musulmane, particulièrement marocaine, au service des intérêts du Royaume comme moyen de pression à l’encontre des pays hôtes de ces communautés. Ce contrôle a eu pour effet de limiter le libre exercice du culte des musulmans désireux de vivre leur croyance différemment du rite officiel marocain, le rite malékite, différent du rite saoudien wahhabite».
«Un des objectifs majeurs des services marocains en Espagne est le repérage et le pistage des sympathisants du Front Polisario -qui réclame l’Indépendance du Sahara Occidental, pleinement revendiqué par le Maroc, et les sympathisants de la province rebelle du RIF», indique-t-il.

Le financement des mosquées

«L’argent qui parvenait aux mosquées d’Espagne provenait des pétromonarchies du Golfe, via des pèlerins qui les transportaient dans leurs chaussettes ou des pochettes, voire parfois dans des valises.
Les raisons ayant présidé à la publication de ces mémoires autorisées:
L’espion déclare avoir reçu l’accord préalable de sa hiérarchie pour la publication de ses mémoires. L’agent secret se pose toutefois la question de savoir si le feu vert de sa hiérarchie n’était pas destiné à bonifier l’image des services de renseignement espagnols après deux échecs retentissants: les attentats de Barcelone, en 20127, qui ont été le fait d’islamistes marocains relevant de l’Organisation de l’État Islamique, et la fuite vers la Belgique du dirigeant indépendantiste de la Catalogne, Carles Puigdemont, que les services espagnols n’avaient «pas anticipé».
L’ouvrage intitulé –« El agente oscuro », las memorias de un espía español al servicio del CNI», – est préfacé par Ignacio Cembrero, ancien correspondant du journal Al Pais au Moyen orient pendant trente ans et considéré à juste titre comme un parfait connaisseur de la zone.
La recension de l’ouvrage en langue arabe a été réalisée par le site en ligne «Ar Rai Al Yom», consultable sur ce lien pour le lectorat arabophone.

Majoritairement musulmane pendant sept siècles, l’Espagne contemporaine compte peu de musulmans. Malgré un certain communautarisme et une xénophobie naissante, les musulmans d’Espagne ont noué une relation de confiance avec les autres croyants ou non-croyants du pays et semblent «avoir réussi leur intégration. «L’islam espagnol d’aujourd’hui est un islam maghrébin qui n’a plus rien à avoir avec les musulmans établis en Espagne du VIII au XVIe siècle qui ont été expulsés, convertis. L’Espagne ne compte que près d’un million, soit 2.3% de la population totale du pays, d’après la dernière enquête du département religion du Pew Research Center, datant de 2010.

Les attentats islamistes en Espagne

L’Espagne a été secouée par deux gros attentats meurtriers depuis le surgissement du terrorisme islamique sur la scène mondiale. Deux attentats dont la responsabilité a été imputée à des ressortissants marocains:

  • L’attentat de Madrid, en 2004, qui a fait plus de 200 morts et 1900 blessés à la suite de l’explosion de bombes posés par des islamistes dans les cercanias (trains de banlieue) à la gare de Madrid, le 11 mars 2004, en signe de protestation contre la participation de l’Espagne à l’invasion américaine de l’Irak sous la conduite du premier ministre de droite José Marie Aznar.
  • Les attentats des 17 et 18 août 2017 en Catalogne perpétrés par des véhicules-bélier sur La Rambla à Barcelone et à Cambrils, en Espagne, ont fait 70 tués. Ils ont été revendiqués par l’Organisation de l’État Islamique.
Le Maroc, «allié majeur non Otan», tremplin des attentats terroristes en Europe.

Si l’Espagne, contrairement à la France ou la Belgique, n’a été secouée que par deux attentats terroristes islamistes de grande ampleur, le Maroc, lui, est devenu un tremplin des attentats terroristes islamistes en Europe.

«Allié majeur non-Otan», le royaume chérifien est ainsi apparu comme étant le plus grand exportateur du terrorisme islamique vers l’Europe, (Attentat de Madrid 2004 qui a fait 200 morts; l’assassinat de Théo Van Gogh, le 2 Novembre 2004; les attentats de Bruxelles en 2015, de Barcelone en 2017; de Trèbes près de Carcassonne, le 23 mars 2018.

Dans son rapport annuel 2019, le département d’État américain met en avant «la participation active du royaume chérifien au Partenariat transsaharien de lutte contre le terrorisme (TSCTP), et sa coopération avec la Belgique, la France et l’Espagne, «pour contrecarrer les menaces terroristes en Europe».
Par ailleurs, le rapport rappelle que «les États-Unis et le Maroc entretiennent une excellente relation et de longue date» dans ce domaine. Ainsi, le département d’État a révélé que les forces de sécurité marocaines ont pris part à plusieurs programmes organisés par les États-Unis «en vue d’améliorer les capacités techniques et d’investigation, notamment les enquêtes financières, l’analyse du renseignement et la cybersécurité»
L’Espagne est la principale destination des Marocains qui représentent 16,4% des immigrants dans ce pays européen. Au premier semestre 2019, la proportion d’immigrés irréguliers marocains en Espagne a atteint le chiffre record de 49 pour cent de la totalité des clandestins présents sur le territoire espagnol.

Au cours de l’année 2018, les Marocains ont représenté un peu moins de 22 % des 57 498 harragas (sans papiers) arrivés à bord de 2. 109 rafiots sur les côtes espagnoles. Au cours du premier semestre 2019, le nombre total d’immigrés irréguliers a certes baissé (- 27 %), mais la proportion de Marocains a grimpé jusqu’à 29,9 %. Au moins de mai, ils ont même atteint un pourcentage record (48,08 %).

Pour aller plus loin sur ce thème : https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/maroc-etalage-de-luxe-royal-en-mer-pendant-que-les-marocains-emigrent-en-masse

Enfin, pour mémoire, c’est en Espagne que l’ancien correspondant d’Al Jazira à Kaboul et Bagdad, Tayssir Allouni, a été traduit en justice pour ses présumés liens avec «Al-Qaîda.

Cauda

Le 15 juillet 2019, le quotidien républicain espagnol, Público, publiait, sous la signature de Carlos Enrique Bayo, une enquête en quatre parties sur les relations entre le cerveau des attentats de Catalogne de 2017 et les services secrets espagnols.

Selon les documents publiés par le quotidien et contrairement à la version officielle, l’imam de Ripoll, le Marocain Abdelbaki Es-Satty, radicalisé depuis longtemps, avait été recruté comme informateur par les services de Renseignements. Ceux-ci avaient falsifié son dossier en Justice pour lui éviter l’expulsion à l’issue de sa condamnation pour trafic de drogue et enfin une «boite aux lettres morte» lui avait été affectée pour discuter avec son officier traitant et que les téléphones de ses complices étaient écoutés.

Toujours selon le journal, le CNI suivait pas à pas les terroristes, connaissait les cibles des attentats et poursuivait toujours sa surveillance au moins quatre jours avant la commission des crimes.
Au vu de ses révélations, toute la question est de savoir pourquoi le CNI n’a pas empêché ces attentats et pourquoi avait-il déjà en 2008 —c’est-à-dire avant le recrutement d’Abdelbaki Es-Satty comme informateur — caché des éléments à la Garde civile afin de le protéger de l’enquête sur l’attentat de Madrid du 11 mars 2004 (dit «11-M»).

Quoi qu’il en soit, le trafic du cannabis, véritable baromètre des relations entre les deux royaumes, s’est lui poursuivi, au plus fort de la pandémie du Coronavirus qui frappé de plein fouet l’Espagne.
Les containers ont continué à arriver à bon port à l’extrême sud de l’Espagne, miné depuis très longtemps par le trafic de haschich marocain.
La Garde civile a confirmé, début avril 2020, l’arrestation de «58 personnes au cours des deux dernières semaines, dans différentes provinces d’Andalousie» ainsi que la saisie de «plus de 5,5 tonnes de haschich, neuf embarcations et douze véhicules» dans la province d’Almería et les régions de Huelva, Cadix et Malaga.

Un chiffre important alors que les voies d’approvisionnement sont censées être totalement verrouillées et seules les «activités essentielles», autorisées
https://www.liberation.fr/planete/2020/04/04/entre-le-maroc-et-l-espagne-le-haschich-passe-toujours_1784061