De La Révolution Arabe : cinq ans après
Hommage aux immolés arabes, afin que leur immolation ne soit pas vaine. À la mémoire de Mohamad Bouazizi (04 Janvier 2011…
Hommage aux immolés arabes, afin que leur immolation ne soit pas vaine.
À la mémoire de Mohamad Bouazizi (04 Janvier 2011 Tunisie), Ahmad Hachem As-Sayyed (Alexandrie Egypte, Janvier 2011), Mohamad Al-Durah (Palestine, 12 ans), Hamza Al-Khatib, (Syrie, 13 ans), Neda Agha Soltan (Iran). Aux autres immolés du Monde arabe. À tous les suppliciés de la terre.
Le corps, forgeur d’histoire (1)
Obscur objet du désir ou élément de l’imaginaire social ? Interrogation lancinante qui induit une réflexion pluridisciplinaire relevant de l’anthropologie et de l’anthropométrie, de la biologie et de l’oncologie, de la sociologie et de la psychologie, de la théologie et de l’ontologie, de l’hématologie et de l’histologie, de la physiologie, voire même de la philosophie, de la poésie et de la littérature, dont la réponse ne saurait provenir que d’une auscultation méthodique du corps; une problématique qui prescrit un déroulement du corps dans tous ses états. Abordons donc le sujet du corps avant d’entrer dans le corps du sujet, sans préjugés ni concession.
Que l’on se rassure toutefois. Un rapide regard clinique suffit à assurer que le corps représente un symbole universel de la vitalité, tour à tour adulé, hissé même au rang des canons grecs de la beauté, exalté par les dieux du stade et du sport, mais aussi mutilé tant pour des raisons religieuses (circoncision excision), que pour des raisons esthétiques en ce que la scarification se revendique comme la sublimation ultime de la beauté par la douleur.
Le sujet du corps
Sujet majeur de la société, le corps fait corps avec la société, de son passé et de son avenir, de son devenir, de sa culture et de sa problématique, de ses projections et de ses envies, de ses frustrations et de ses phobies, de ses conquêtes et de ses défaites. Sous des propos sirupeux et langoureux, son récit emprunte au langage guerrier.
Objet de fantasmes, le corps est le lieu de la confrontation symbolique entre Orient et Occident en un mouvement dissymétrique qui porte le Couchant à se dévoiler -dénuder ?- au fur et à mesure qu’il s’engouffre dans la société des loisirs, quand le Levant se redresse, en dress code, toutes voiles dehors, -à s’enfouir ?- face à ce qu’il considère comme sa dilution dans un faux happening mondialisé.
Voilé, dévoilé, le corps est l’objet d’un dévoiement. Son appropriation s’apparente par moments à un viol de propriété, à tout le moins à un abus de bien social en ce qu’elle se fait souvent par dépossession d’autrui. Dans la confusion, naturellement, dans la fusion, rarement. Uniquement sans doute une telle hypothèse dans les contes de fée. Sofitel 2806 New York (1) et réflexologie plantaire (2) portent témoignage de l’âpreté de la bataille. Combat d’arrache-pied, d’un corps à corps épique ou dégradant, selon la prévenance de l’un et le consentement de l’autre, selon la prédation de l’un et la victimisation de l’autre.
Obèse ou famélique, le corps constitue la carte de la géographie alimentaire de la planète, clivant les sociétés d’abondance, des sociétés de pénurie, la malbouffe, des gourmets, les Fast Food, des toques étoilées. La géographie de la carte du tendre, lorsque la fièvre s’en empare, ou que le diable s’en saisit, carte de la tristesse, lorsqu’il bat froid le plus ardent des soupirants incongrus, carte du devoir, lorsque chevillé au corps, il se révèle de marbre face à la plus mirifique des propositions, carte de la désolation, enfin, lorsqu’on y met toute son âme, sans résultat.
Le corps du sujet: Lieu de reproduction de la vie
À ce niveau de la dissection symbolique, il peut paraître judicieux au profane occidental de se plonger dans l’objet de son fantasme exotique absolu: le corps en Islam.
Le sujet prête à embarras. Une interprétation sommaire des institutions liées dans l’imaginaire collectif à la culture musulmane (Polygamie, Hammam) suggère sinon un laxisme du moins un hédonisme socioreligieux de l’Islam.
S’il dédaigne ce qui apparaît à d’autres cultures comme étant les plaisirs de la bonne chère, le champagne et le jambon de Parme, l’Islam ne dédaigne pas les plaisirs de la chair. Abondamment cité par le Coran, le corps est en fait le lieu privilégié d’une inscription sociale ritualisée (3).
Au-delà des joutes spéculatives, il importe toutefois de renouer le fil du récit afin de refaire corps avec le sujet, de faire corps avec la réalité.
Dans une société contemporaine en voie de précarisation, de stigmatisation et de marginalisation, le corps s’enroule dans le voile pour en faire, pour ses partisans, son corset protecteur, un bien aussi précieux qu’un bouclier fiscal pour un capitaliste. Un signe d’affirmation de sa condition exogène et de défiance à l’égard de son environnement xénophobe. Un signe de démarcation par une reconnaissance dérivée de l’altérité. Un instrument de régression sociale et d’asservissement conjugal, pour se détracteurs.
En tout état de cause, le lieu par excellence de la préservation du domaine réservé, de l’intime, le lieu de la jouissance et de la souffrance, le lieu de l’épanouissement et du déploiement narcissique du sujet.
Le corps est un marqueur. Avec ou sans voile, il exulte, respire, transpire et expire. Désarticulé, il est pantin. Déconnecté, il est «légume». Même des génies militaires, ou supposés tels, n’échappent au court circuit, si robuste soit leur constitution, si pantagruélique fut leur appétit (4).
Le corps est le curseur de la gradation de la vie et de sa dégradation. Exhibitionniste ou intimiste, corps juvénile, vivant, dénudé, libéré, exalté, mais corps mutilé, martyrisé, greffé, percé, botoxé. Corps figé, anorexique. Squelette. Corps incinéré, cendres et poussières. Le néant. Un souvenir. Mâle ou femelle. Nain ou géant. Dolichocéphale ou broncocéphale. Homo ou hétéro. Au paradis ou en enfer. Croyant ou agnostique. Religieux ou laïc.
Prince charmant ou princesse au bois dormant, il alimente les rêveries enfantines. Sculptural, sa cambrure nourrit les rêves inassouvis d’adultes insatiables. Beauté divine, il est l’objet d’une prosternation permanente. Adulé, en tout âge, en tout lieu. Momifié, il est vénéré à titre de vestige d’une civilisation.
Farandole de sens, à travers les âges, à travers les continents, ses trémoussements se déclinent en une symphonie inachevée de déhanchements, au rythme trépignant du MAMBO et du Rock and Roll, du Tango et du Charleston, de la valse de Vienne et du Barambiche du Sénégal, du break dance et de la danse du ventre.
Juché sur un bûcher sous Jeanne d’Arc, objet d’une hideuse traite d’ébène à travers les siècles, réduit en esclavage «aux temps bénis des colonies», décimé jusqu’au dernier des Mohicans lors de la conquête du Far West, immortalisé en phase de Renaissance par Michel Ange, Divin David et Piéta, les rondeurs soulignées par Rubens, émacié par El Greco et Michelangelo Merisi da Caravaggio, marchant sur la lune ou en apnée au fond des océans, dérivant sur un radeau de Méduse aux larges de Géricault, les boat people du Golfe du Tonkin vers le détroit de Malacca, des rives de Carthage vers Lampedusa, Gazé puis carbonisé durant les deux guerres mondiales du XX me siècle; expédié au bagne à Cayenne puis déporté au Goulag, fauché par la mitraille dans les combats pour les droits civiques des noirs américains, bombardé au napalm au Vietnam, icône guevarienne des combats de libération du tiers monde dans la décennie 1960, ventre creux dans la Corne de l’Afrique dans la décennie 1970, décimé de peste et de choléra, de Sida par la déficience de son système de défense immunitaire dans la décennie 1980, dé-routeur de char sur la place Tien An Men à Pékin dans la décennie 1990, assiégé à Beyrouth et à Gaza, déchiqueté par les bombes à fragmentation au sud-Liban, happé par le Tsunami et Katarina (5), carbonisé à Hiroshima et Nagasaki, à Tchernobyl et Fukushima, électrocuté à Guantanamo et à Abou Ghraib, Spartacus des temps modernes en lanceur de chaussures sur le président de la première puissance militaire de tous les temps, bombes humaines de la protestation inhumaine contre la non reconnaissance de l’humanité de la personne, le corps sera l’immolation libératoire contre la tyrannie arabe du printemps arabe de l’an de grâce 2010-2011.
S’il est vrai qu’«au commencement était le verbe», il est non moins vrai que «le verbe s’est fait chair». Lieu de reproduction de la vie, le corps est la loi de la vie. De Cro Magnon à Australopithèque, de l’Homo Sapiens à Lucie, le corps est l’histoire de la vie. L’histoire de l’Humanité. Le corps a forcé l’histoire. Le corps forge l’Histoire.
Références
- Contribution au Colloque «Faire corps», organisé par Calame.ca, groupe de recherche en psychanalyse et anthropologie historique, sous la responsabilité de Karim Jbeili Vendredi 21 octobre -Dimanche 23 octobre- Maison de la culture Côte des Neiges,5290, chemin de la Côte-des-Neiges-Montréal, QC H3T 1T2. L’objet de ce colloque était «de passer par le biais du corps (matériel, physique ou social) afin de réfléchir sur la façon que l’humain a de se penser et de penser la science. Les sciences modernes montrent des signes d’essoufflement. Elles semblent avoir atteint les limites de leurs capacités d’innover sans nuire; allant ainsi à l’encontre de la prescription d’Hippocrate: «D’abord ne pas nuire».
- Sofitel 2806 New York, du nom du numéro de chambre d’un d’Hôtel, est le théâtre d’une effroyable méprise conduisant Dominique Strauss Khan, à l’époque Directeur du Fonds Monétaire Internationale, à confondre femme de chambre et robe de chambre, débouchant sur sa comparution en justice, le 14 Mai 2011.
- Réflexologie plantaire, médecine douce régulatrice des céphalées, du transit intestinal par simple application des mains sur les zones sensibles de la voute plantaire des pieds. Cet exercice appliqué à mauvais escient à des collaboratrices contraintes a valu à un ministre Français, Georges Tron, ancien secrétaire d’état à la fonction publique, une comparution judiciaire.
- Pour une étude approfondie de ce sujet, voir à ce propos : https://www.renenaba.com/le-corps-en-islam/ une recension de l’ouvrage «Le Corps en Islam» Malek Chebel (PUF Quadrige)
- C’est le cas du général Ariel Sharon, ancien premier ministre israélien, foudre de guerre à l’appétit pantagruélique, plongé dans le coma depuis le 4 janvier 2006.
- Tsunami, terme japonais qui signifie ras de marée. Le tsunami du 26 décembre 2004, sur les rives de l’Asie méridionale a fait plus de 200 000 morts. Katrina, l’un des ouragans les plus puissants à avoir frappé les Etats-Unis, le 29 Août 2005, à la Nouvelle Orléans, a fait officiellement 1 836 morts