De l’ingérence humanitaire: Droit d’ingérence contre devoir d’ingérence 2/4
I – Droit d‘ingérence/ devoir d’ingérence En politique internationale, à l’époque contemporaine, l’idée d’ingérence humanitaire est apparue durant la Guerre…
I – Droit d‘ingérence/ devoir d’ingérence
En politique internationale, à l’époque contemporaine, l’idée d’ingérence humanitaire est apparue durant la Guerre du Biafra (1967-1970), province sécessionniste du Nigeria. Le conflit a entraîné une épouvantable famine, largement couverte par les médias occidentaux mais totalement ignorée par les chefs d’États et de gouvernement au nom de la neutralité et de la non-ingérence.
La théorisation du concept date des années 1980. Le philosophe Jean-François Revel fut le premier à évoquer le «devoir d’ingérence» en 1979 dans un article du magazine français l’Express en 1979 consacré aux dictatures centrafricaine de Jean-Bedel Bokassa et ougandaise d’Idi Amin Dada.
Le terme fut repris par le philosophe Bernard-Henri Lévy à propos du Cambodge et reformulé en «droit d’ingérence», en 1988, par le tandem Mario Betti, professeur de droit international public, et, Bernard Kouchner, un des fondateurs de Médecins sans frontières.
Le concept de droit d’ingérence entend dépasser les définitions restrictives traditionnelles de la souveraineté pour imposer un «devoir d’assistance à peuple en danger».
Ainsi la doctrine du «droit d’ingérence» entend subordonner la souveraineté des États interprétée comme «une sorte de mur à l’abri duquel tout peut se passer» selon Bernard Kouchner à une «morale de l’extrême urgence» visant à protéger les droits fondamentaux de la personne.
Le droit d’ingérence s’inscrit dans un cadre plus large de la redéfinition d’un ordre mondial idéalement régi par des principes de démocratie, d’État de droit et de respect de la personne humaine. Il tend à une moralisation des relations internationales. La création d’une justice pénale internationale va dans ce même sens.
Depuis décembre 1988, la notion d’ingérence humanitaire soit reconnue par le droit international. Certains pensent qu’elle devrait rester dans la sphère des valeurs strictement morales. Car il s’agit d’une notion totalement contraire aux fondements du droit international qui dispose qu’un État n’est lié par une règle de droit que s’il l’a acceptée en ratifiant un traité ou en adhérant à une règle préexistante.
Plus fondamental est le fait que l’ingérence humanitaire souffre d’un certain nombre de contradictions qui sont principalement dues à la confusion volontairement entretenue entre droit et devoir d’ingérence.
Il est en effet difficile dans ces conditions de séparer les mobiles humanitaires, des mobiles politiques et de s’assurer du total désintéressement des puissances intervenantes. Il y a toujours un risque que l’humanitaire ne serve que de prétexte à une volonté impérialiste.
Bien qu’elle se veuille universelle, la déclaration des droits de l’homme est fortement influencée par les travaux des philosophes occidentaux du Siècle des Lumières et plus généralement par la morale judéo-chrétienne.
II – L’ingérence a donc toujours été une action dirigée depuis le nord vers les pays du sud.
Il est ainsi peu vraisemblable que des contingents rwandais seront un jour chargés de mission de maintien de la paix en Irlande du Nord ou que des Libanais interviendront au Pays basque.
En réalité les États puissants ont peu de risque d’être la cible d’une action d’ingérence. Par exemple les populations de Tchétchénie sont sans doute autant en danger aujourd’hui que l’ont été les Kosovars il y quelques années, mais la Russie étant infiniment plus puissante sur la scène internationale que la Serbie, il est peu probable qu’une action internationale se mette en place.
Il est donc logique qu’une remise en cause aussi dissymétrique de la souveraineté des États se heurte à des réticences très fortes. Ainsi le sommet du G 77, qui réunit les états les plus pauvres, a condamné en 1990 le «prétendu droit d’intervention humanitaire» mis en avant par les grandes puissances.
En Occident également, l’ingérence humanitaire a des opposants. Beaucoup trouvent qu’elle ressemble un peu trop au colonialisme du XIXe siècle, propageant les valeurs de la démocratie libérale et considérant les autres cultures comme quantité négligeable. Il lui est également reproché son caractère événementiel : elle a tendance à s’exprimer dans le chaud de l’action, pour donner bonne conscience aux téléspectateurs occidentaux, et à négliger les conflits oubliés par les médias ou les détresses chroniques. Comme le prouve la crise ouverte autour de l’intervention américaine en Irak, le délicat équilibre entre la répression des bourreaux et le respect de l’égalité souveraine des nations reste donc à trouver.
III – La tentative de dépassement de la controverse doctrinale,
Les présupposés idéologiques: La notion du discours du dominant et la notion de lanceur d’alerte)
A – Le discours du dominant
Les critères d’appréhension de la réalité du discours du dominant affecte la perception de la réalité telle qu’elle est, au bénéficie d’une réalité qu’elle qu’est perçue. Le dominant est mu par son savoir libérateur par la conviction intime de sa bonne conscience, sans nécessairement mesurer les conséquences de ces actes.
Ainsi la guerre de l’opium au nom de la Liberté du commerce et de l’industrie infligée à la Chine pour favoriser la commercialisation des produits textiles sur le marché chinois).
B- La controverse de Valladolid sur la nature humaine des Amérindiens
Quatre siècles auparavant, à l’époque de la conquête de l’Amérique, ce n’est pas au nom de la modernisation, mais de la christianisation, que le pouvoir conquérant s’exprimait. Mais il ne manquait pas d’«insister sur les bienfaits apportés par les Espagnols aux contrées sauvages, et on trouve fréquemment ces énumérations.
Les Espagnols ont supprimé des pratiques barbares telles que les sacrifices humains, le cannibalisme, la polygamie, l’homosexualité, et ils ont apporté le christianisme, le costume européen, des animaux domestiques, des outils).
Bartolomé de Las Casas, prêtre dominicain défenseur des Indiens, qui a décrit dans le détail le désastre de la conquête, condamnait l’esclavage et les traitements cruels tout en défendant la colonisation, laquelle devait être l’œuvre non des soldats mais des religieux.
Qu’il n’y ait pas de contradiction, dans les esprits de ce temps, entre aspirations humanitaires et projet colonial, cela se voit également dans l’invention de l’action humanitaire moderne, avec la fondation de la Croix-Rouge. L’époque de l’impérialisme colonial s’est en effet ouverte en France à la fin des années 1850, quand allait être adoptée la première convention de Genève (1864), dont la France de Napoléon III fut la première signataire et le soutien le plus ferme (il s’en fallut de peu que la convention ne soit signée à Paris). Le «droit de conquête» n’y était pas mis en question, pas plus d’ailleurs que le droit de faire la guerre, puisqu’il s’agissait seulement de fixer des limites à celle-ci.
Gustave Moynier, le premier président de la Croix-Rouge, considérait cette institution comme «inspirée par la morale évangélique» et, à l’instar de la plupart de ses contemporains, voyait dans les peuples colonisés le contretype des nations civilisées :
«La compassion, écrivait-il, est inconnue de telles tribus sauvages, qui pratiquent le cannibalisme. Leur langue même, dit-on, n’a pas de mots pour en rendre la pensée, tant celle-ci leur est étrangère. (…) Les peuples sauvages (…) font [la guerre] à outrance et cèdent sans arrière-pensée à leurs instincts brutaux, tandis que les nations civilisées, cherchant à l’humaniser, confessent par là même que tout ce qui s’y passe n’est pas licite.» Et dans L’Afrique explorée et civilisée, il ajoutait : «La race blanche doit dédommager la race noire (…) et la faire bénéficier des moyens dont dispose la civilisation moderne pour améliorer son sort.»
Aucune organisation non gouvernementale (ONG) de solidarité ou de défense des droits de la personne ne signerait aujourd’hui de telles déclarations. Le discours humanitariste sous-tend une dichotomie.
C- Le rôle spécifique de la France
Mission civilisatrice, patrie des Droits de l’Homme, Ville Lumière, la charge d’aînesse… autant de clichés camouflant des visées impériales prédatrices.
Alexis de Tocqueville légitimera les boucheries considérant «le fait de s’emparer des hommes sans armes, des femmes et des enfants, comme des nécessités fâcheuses auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre».
De même Léon Blum invoquera son «trop d’amour» pour son pays «pour désavouer l’expansion de la pensée et de la civilisation française». «Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture», écrira-t-il dans le journal «Le Populaire» en date du 17 juillet 1925. «Le pays qui a proclamé les droits de l’homme, qui a contribué brillamment à l’avancement des sciences, qui a fait l’enseignement laïque, le pays qui, devant les nations, est le grand champion de la liberté. IL a la mission de répandre partout où il le peut les idées qui ont fait sa propre grandeur. Il faut nous considérer comme investis du mandat d’instruire, d’élever, d’émanciper, d’enrichir et de secourir les peuples qui ont besoin de notre collaboration)».
Ces mots, écrits en 1931 par le radical Albert Bayet lors du congrès de la Ligue des droits de l’homme consacré à la colonisation, devraient être examinés avec attention par les acteurs contemporains de l’aide internationale.
Si la formulation est désuète, ils seraient en effet bien en peine d’en désavouer le contenu, tant ce programme de modernisation sociale et politique reste actuel. Le même congrès de la Ligue des droits de l’homme condamnait la «conception impérialiste de la colonisation», ne justifiant celle-ci qu’à la condition qu’elle se donne les buts «humanitaires» résumés par Albert Bayet.
Pour ce courant humaniste de la colonisation, celle-ci, telle une «charge d’aînesse», était source de bienfaisance et d’élévation des mœurs, une obligation de conscience qui se déduisait de l’évidente supériorité de la société colonisatrice sur les peuplades concernées.
La France : Protectrice des minorités chrétiennes d’Orient (conflit 1860 au Liban), druzes maronites. Régime des capitulations, occidentaux jugés par tribunaux spéciaux. Intervention 1860 au Liban pour la protection des maronites dans la guerre druze-maronite. Au XIXe siècle, on parlait alors «d’intervention d’humanité». Officiellement, sauver les chrétiens vivants en Turquie, mais officieusement, pour déstabiliser le Sultan de Turquie, Abdel Hamid II.
Pourtant la France est le seul pays au monde à voir intégrer le gobino darwisnisme dans sa codification juridique (Code Noir de l’Esclavage, Code des Indigènes), malgré la double contribution des basanés à la sauvegarde de la République 1ème Guerre et 2eme Guerre mondiale.
IV – Colonialisme et humanitarisme
Le projet colonial n’est pas un projet humanitaire. Cela relèverait d’un anachronisme. Mais un projet fondé sur un idéal humaniste.
Le développement de l’humanitarisme a pris une telle ampleur dans les pays occidentaux dans un contexte de crise, à un moment où l’horizon se bouchait en Occident. L’humanitaire a constitué un débouché qui rendait possible une nouvelle vie là où en Occident tout paraissait bloqué.
Biafra, décennie 1960, en pleine période de décolonisation.
La construction européenne a pris son essor après l’indépendance de l’Algérie. De Gaulle a substitué dans l’imaginaire français, une ambition devenue obsolète, (l’Empire français), par une ambition dynamique, la construction de l’Europe, L’Union Européenne, c’est-à-dire la reconstitution de l’Empire de Charlemagne par la réconciliation franco-allemande.
Le projet colonial a d’abord été un projet d’égalité, mais un projet d’égalité différé, à long terme, Un projet de progrès. Mais sa pérennité reposait sur un principe contradictoire, le principe d’inégalité, condition de sa survie. Ceci explique que des «Républicains progressistes» aient été d’ardents colonialistes.
La colonisation a eu une fonction interne, avant de revêtir une fonction externe. La peur d’une révolution sociale a été un des moteurs de l’expansion coloniale, en ce que les colonies représentaient un exutoire aux problèmes de la France. L’Algérie a servi de réceptacle à tous les Républicains fuyant la répression après la chute de la commune de Paris.
La Colonisation de la Métropole a précédé la colonisation effective de l’outre-mer. Imposition d’une langue unique. Lutte contre les cultures régionales.
L’École a été au cœur du projet colonial (intégration des français, intégration des indigènes à la civilisation).
V – Le discours humanitaire sous-tend une dichotomie
Une opposition du type «développé /sous-développé», déclinable par ailleurs dans de multiples variantes sous divers euphémismes, les critères économiques définissant les «pays les moins avancés» comme les critères anthropologiques qui donnent à voir des «peuples attardés» appartiennent les uns et les autres au vocabulaire du dominant.
On y retrouve l’opposition entre société «traditionnelle» et société «moderne», recouvrant les dichotomies communauté/individu, routine/innovation, solidarité/concurrence, relations clientélistes /relations bureaucratiques chères à la pensée coloniale.
Cette dichotomie, «eux» et «nous», entre les attardés et les avancés, institue en effet des groupes indigènes de pauvres, définis par des carences et des risques spécifiques, coïncidant précisément avec les objectifs des programmes d’aide.
Les programmes dits de santé fournissent un champ d’application privilégié à cette envahissante sollicitude.
Les organismes spécialisés de l’ONU, en particulier le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se sont donné pour objectif de répandre la croyance, profondément ancrée dans le monde occidental, qui veut que la plupart des pathologies rencontrées dans le tiers-monde soient la conséquence d’un manque de propreté.
Un credo plus proche du catéchisme de la modernité que d’une vérité vérifiable. Il suffit, pour se convaincre de la dimension essentiellement liturgique de cette annonce, de se rappeler les prévisions d’épidémies foudroyantes formulées par des experts lors de chaque catastrophe naturelle, alors même qu’il n’en existe aucun exemple. (HIVN). Cette trompeuse simplification justifie, au nom de l’intérêt supérieur de la communauté, l’intrusion de volontaires d’ONG dans le domicile de familles où ils n’ont pas été conviés.
Les puritains anglais du XVIIe siècle plaçaient l’hygiénisation du peuple au principe de leur entreprise de restauration morale.
La confusion entre propre, sain, normal, d’une part, sale, malsain et pathologique, d’autre part, est la marque des campagnes d’évangélisation sanitaire, version actualisée de la mission civilisatrice de l’Europe.
Ces peuples «sous-développés» doivent être conduits vers la maturité sociale par de nouveaux tuteurs, passeurs de bien-être et de progrès. Peuples éveillés à la conscience de leurs intérêts par des pasteurs instituant leur autorité sous le signe de la lutte contre le «péril fécal».
Au-delà de leurs opérations de secours, les ONG et l’ONU contribuent à produire de nouvelles régulations dans l’espace politique mondial et jouent désormais un rôle dans le débat public. Un enrichissement de la démocratie dans un sens participatif, alors que ses formes traditionnelles électives semblent s’essouffler.
Cette nouvelle légitimité et la popularité qui la soutient ne sont cependant pas sans conséquences. Elles furent à de nombreuses reprises, par exemple, utilisées par l’administration américaine pour présenter sous un jour plus favorable ses offensives consécutives aux attentats du 11-Septembre:
«J’entends réellement m’assurer, disait M. Colin Powell en octobre 2001, que nous avons les meilleures relations avec les ONG, qui sont un tel multiplicateur de forces pour nous, une part si importante de notre équipe de combat. (…)
Car [nous] sommes tous engagés vers le même but singulier, aider l’humanité, aider chaque homme et chaque femme dans le monde qui est dans le besoin, qui a faim (…), donner, à tous, la possibilité de rêver à un avenir qui sera plus radieux.»
VI- Le lanceur d’alerte : Vigile ou délateur ?
Lanceur d’alerte est le vocable choisi pour désigner un groupe qui découvre des éléments qu’il considère comme menaçants pour l’homme, pour la société ou l’environnement et qui décide de les porter à la connaissance d’instances officielles, d’associations ou de médias, parfois contre l’avis de sa hiérarchie.
À la différence du délateur, le lanceur d’alerte n’est pas dans une logique d’accusation visant quelqu’un en particulier mais divulgue un état de fait, une menace dommageable pour le bien commun, l’intérêt public.
Le terme récent, lanceur d’alerte, a été popularisé par le chercheur André Cicolella, lui-même un «lanceur d’alerte». La création de cette notion visait explicitement à la séparer de celles de dénonciateur et de délateur.
Au Québec et au Canada francophone, le terme de dénonciateur est souvent employé pour traduire le mot anglais whistleblower (bien que le terme lanceur d’alerte ait été reconnu en 2006 dans la fiche dénonciation (domaine comptabilité) du Grand Dictionnaire Terminologique de l’Office dQuébéois de la langue fançaise
En France, plusieurs personnes ont lancé de telles alertes. Elles ont été menacées ou poursuivies par leur employeur ou d’autres acteurs, (Le scandale de l’amiante, Les OGM organismes génétiquement modifiés, le sang contaminé, David Sénat dans affaire Woerth Bettencourt). Prégnance de Vichy avec la persistance de la pratique de dénonciation connue en France sous le vocable du «Corbeau».
Requête des mouvements associatifs ou politiques pour la mise en place d’une législation afin de protéger les lanceurs d’alerte, en s’inspirant du droit existant dans différents pays, dont les États-Unis, sur cette problématique. Le Grenelle de l’environnement, en 2007, a proposé une protection juridique des lanceurs d’alerte. Le gouvernement fédéral du Canada s’est doté d’une Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles qui a été modifiée en 2007. Les lanceurs d’alerte entrent en interaction, en amont et en aval, avec toutes sortes d' »acteurs vigilants », appelés aussi des sentinelles de veille.
VII- Droit d’ingérence des États
L’expression «droit d’ingérence» porte une contradiction en elle-même.
Un des promoteurs du droit d’ingérence, le professeur Mario Bettati, relève lui-même que «l’ingérence ne désigne pas un concept juridique déterminé», dans «Un droit d’ingérence», RGDIP, 1991/3, pp. 639-670, ad p. 641.
Ce qui est acquis, indiscutablement, c’est le droit, pour les États, d’ouvrir les yeux. Un État peut s’interroger sur ce qui se passe dans les autres États. Même si ceux-ci, bien souvent, s’en offusquent encore, ce droit ne fait pas de doute.
En cas de menaces contre la paix ou la sécurité internationales, le Conseil de sécurité peut être saisi par tout membre des Nations Unies.
D’autres mécanismes conventionnels: Le Comité des Droits de L’Homme dans le cadre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de son protocole facultatif, de 1966.
Mais y-a-t-il un droit d’agir quand ce «droit de regard» révèle des choses inacceptables ?
Rien n’empêche un État de refuser la coopération avec un État dont le gouvernement se comporte d’une manière qu’il juge inacceptable. Boycott du gouvernement autrichien du parti d’extrême droite, Yorg Haider, par l’Union européenne, boycott de l’Apartheid en Afrique du sud). Par ailleurs les mécanismes prévus dans les conventions internationales, et d’abord la Charte des Nations Unies, permettent, dans certains cas, des sanctions.
Hormis les décisions prises par le Conseil de sécurité, le système prévu par la Charte des Nations Unies ne prévoit pas l’usage de la force pour d’autres motifs que la légitime défense. Celle-ci étant individuelle ou collective, elle permet certes l’intervention d’états non directement agressés, mais elle est cependant clairement limitée aux cas où un État membre est l’objet «d’une agression armée».
VII -Le risque manifeste d’abus et la notion d’«état de nécessité».
La doctrine, très généralement, rejette la licéité de l’intervention humanitaire même dans sa conception restreinte, à savoir l’intervention armée pour sauvegarder ses propres citoyens dans un autre État.
Le concept de l’intervention humanitaire, qui, dans sa conception large, autorise l’intervention armée d’un État sur le territoire d’un autre État pour mettre fin à des violations graves et massives des droits de l’homme, n’a pas sa place dans le système prévu par l’ONU.
Les violations des droits de l’homme pouvant donner prétexte à intervenir avec d’autres desseins. Il en découle la nécessité de renforcer le système fondé sur la Charte reste l’objectif prioritaire.
L’existence d’un «État de nécessité» non plus fondé sur la défense du seul intérêt national, mais sur celle d’intérêts fondamentaux de l’humanité, mérite d’être prise en considération.
«L’idée de base est que dans le «global village» qu’est devenu le monde, il y a non seulement, pour les États, un droit d’ouvrir les yeux, mais un devoir de le faire.
L’interdépendance toujours plus marquée de l’ensemble des États, le développement des droits de l’homme et l’émergence d’un principe de solidarité permettent de conclure qu’on ne laisse plus aujourd’hui aux États de «droit à l’indifférence».
En revanche, il serait manifestement abusif de tirer de cela la conclusion d’un devoir d’intervenir par la force en dehors de systèmes de sécurité conformes à la Charte des Nations Unies.
La question plus fondamentale se pose: Peut-on tracer, entre le politique et l’humanitaire, une voie politicologue humanitaire ? Le CICR n’a d’autre choix que celui de considérer toute intervention armée, indépendamment de ses motifs, comme entraînant l’application du droit international humanitaire.
Il ne s’agit pas pour lui de s’associer à une action armée à but humanitaire, mais d’analyser la situation nouvelle créée par cette action pour envisager, le rôle qu’il est appelé à jouer pour faire respecter le droit international humanitaire et pour collaborer activement à sa mise en œuvre.
Droit ou devoir d’ingérence des organisations humanitaires
Les organisations humanitaires ne disposent pas de la force armée ni d’autres moyens de coercition. En réalité, les questions posées dans le débat public étaient essentiellement les suivantes :
- Les organisations humanitaires ont-elles un devoir absolu de se conformer à la volonté des gouvernements des États sur le territoire desquels elles souhaitent agir ?
- Les organisations humanitaires ont-elles l’obligation d’utiliser la seule «arme» dont elles disposent, celle de la dénonciation publique, quand elles constatent de graves violations du droit international humanitaire, voire des droits de l’homme ou du droit international général ?
VIII – Le problème de la dénonciation
Mauvaise querelle aussi que celle portant sur l’obligation de dénoncer. Fondée sur l’attitude du CICR lors de la situation extrême de la Seconde Guerre mondiale, largement déformée d’ailleurs, on a également posé comme une sorte de règle d’allégeance aux gouvernements, voire de complicité passive, une certaine discrétion de l’Institution sur ses actions. Or le silence, jamais, n’a été érigé en principe par le CICR. C’est toujours en fonction de l’efficacité à l’égard de l’objectif fixé par le principe d’humanité que la question s’est posée.
Car il faut peser à l’aune de l’intérêt des victimes, en fonction de risques à très court terme, d’une influence à plus long terme sur l’action concernée et, enfin, de la cohérence globale de l’approche par rapport à d’autres violations.
Le problème du battage public est davantage lié à la nécessité de secouer l’indifférence de la communauté internationale face à des situations tragiques sur le plan humanitaire qu’à celle de dévoiler des exactions ignorées.
IX- Droit à l’assistance
Cette expression, plus adéquate, semble aujourd’hui prendre le pas sur les expressions «droit d’ingérence» ou «devoir d’ingérence». Elle n’est toutefois pas clairement définie. En réalité le «droit à l’assistance» ouvre le champ à nombre de questions importantes et complexes. Les quelque 600 articles des Conventions de Genève de 1949 et de leurs Protocoles additionnels de 1977, sans parler des autres conventions relevant du droit international humanitaire, ne sont, en réalité, que l’expression articulée sur le plan juridique du concept de droit à l’assistance pris dans un sens large.
Ces textes sont le fruit de plus de cent ans d’expériences, souvent douloureuses, de lentes prises de conscience du public et de négociations laborieuses avec les gouvernements.