La France sous-traitante des Etats-Unis dans la défense du Golfe
La France sous-traitante des Etats-Unis dans la défense du Golfe Le Golfe: un piège militaire, un casse tête diplomatique, un…
La France sous-traitante des Etats-Unis dans la défense du Golfe
Le Golfe: un piège militaire, un casse tête diplomatique, un gigantesque cimetière marin
La France a franchi un seuil stratégique en obtenant le 15 janvier 2008 l’aménagement d’une base militaire à Abou-Dhabi, face à l’Iran, souscrivant ainsi officiellement au rôle de sous-traitante des Etats-Unis dans la défense occidentale du Golfe arabo-persique.
Première base française crééé à l’étranger depuis la fin de l’ère coloniale, dans les années 1960, la plateforme d’Abou-Dhabi vient en complément de la colocation franco-américaine de la base de Djibouti, à l’intersection du golfe et de l’Océan indien. Elle se situe dans le prolongement du dispositif français en Afghanistan
Outre Abou-Dhabi, la France dispose au Qatar d’une école de gendarmerie et d’une duplication de l’Ecole Saint-Cyr, l’académie chargée de former les officiers supérieurs des Emirats. Une école qui compte déjà à son crédit la formation du Prince héritier qatariote.
En Afghanistan, la France compte 2000 soldats soutenus par une escadrille de six Mirage qui seront remplacés en mars prochain par l’avion de supériorité aérienne «le Rafale» équipé de missiles à long rayon d’action (50 k) ainsi que des chars Leclerc. Le contingent français sera rejoint à l’automne prochain parle porte-avions nucléaire «Charles de Gaulle» pour une mission d’observation et d’interception dans la mer d’Arabie.
La création de cette base interarmes de 500 hommes à forte composante navale, intervient alors que le Royaume-uni, l’ancien compagnon d’infortune de l’Amérique dans l’aventure irakienne, opère un repli discret de l’Irak après les déboires occidentaux dans la zone. Dans cette perspective, l’affichage français parait destiné à assurer la relève britannique et à compenser la perte de l’énorme marché irakien passé sous contrôle de l’allié et néanmoins concurrent américain.
Au regard de l’imposant dispositif américain dans la zone, le contingent français relèvera peu ou prou du dispositif conjoint aménagé par les pays occidentaux sous l’autorité des Etats-Unis pour la défense des pétromonarchies.
Le déploiement français dans le Golfe d’où elle était absente lors des deux dernières guerres -la guerre d’Afghanistan en 2001 par défaut d’hélices du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle et la guerre d‘Irak en 2003 du fait du veto chiraquien- constitue à cet égard une rupture stratégique majeure de la diplomatie française traditionnelle. Elle renoue avec la posture offensive qu’elle avait adoptée lors de la première guerre irako-iranienne (1980-1989) dont elle a eu à pâtir de ses répercussions du fait de son statut de «cobelligérant» aux côtés de Irak.
Survenue dans un climat de tension entre les Etats-Unis et l‘Iran à propos du nucléaire iranien, la création de la base française d’Abou-Dhabi a suscité des réserves de la part des milieux conservateurs pétromonarchiques, qui y ont vu une accréditation a posteriori des accusations des groupes islamistes sur la mise sous tutelle occidentale des pays arabes et leur instrumentalisation pour la satisfaction des besoins énergétiques des pays industrialisés.
L’Iran s’est fortement impliqué dans la technologie nucléaire en vue de faire face à la fragilisation de la zone du fait de l’invasion américaine de l’Irak, de l’effritement de l’Afghanistan et de la nucléarisation de son environnement immédiat qui y compte cinq puissances atomiques: Russie, Ukraine, Inde, Pakistan et Israël.
Le surarmement des pétromonarchies de même que l’installation d’une base occidentale supplémentaire dans le Golfe, en l’occurrence française, pourrait accentuer le sentiment d’insécurité de l’Iran et l’inciter à renforcer sa détermination à sécuriser son espace vital. En 18 ans, l’Union Européenne n’a jamais réussi à mettre en route un partenariat économique avec le «Conseil de Coopération du Golfe» (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Koweït, Qatar et Oman). Loin d’apporter son soutien aux militants de la société civile en vue de favoriser le pluralisme dans les pays arabes, elle s’emploie activement à la constitution d’arsenaux militaires à l’effet de consolider les régimes autocratiques.
Au vu dispositif occidental dans le Golfe, l’Iran ne parait pas devoir se contenter cette fois d’opérations de harcèlement. Elle pourrait moduler sa riposte en fonction de la frappe adverse et le cas échéant compter sur son propre hinterland stratégique d’une densité démographique sans pareille pour des opérations «au delà des lignes ennemies» avec le concours de leurs alliés régionaux, notamment une large fraction de l’importante communauté chiite du Monde arabe implantée à Bahreïn, en Arabie saoudite, dans la région pétrolifère de l’est du Royaume, dans la zone pétrolière du Nord du Koweït ainsi qu’en Irak et au Liban, dans la zone limitrophe d’Israël, et sans doute au delà, dans une riposte oblique à son endiguement.
Plutôt donc que d’amplifier la politique belligène du Président George Bush, Nicolas Sarkozy devrait en corriger les déséquilibres, ne serait-ce que pour maintenir une certaine crédibilité du discours occidental dans la promotion de la démocratie dans le Monde arabe et musulman.
Le Golfe Piège militaire, casse tête diplomatique
Veine jugulaire du système énergétique mondiale, par où transite 40 pour cent de la consommation pétrolière, le Golfe arabo-persique est l’une des zones les plus convoitées du monde. Voie d’eau d’un millier de Kms, le Golfe borde l’Iran, qui se veut le fer de lance de la Révolution Islamique, l’Irak, sous occupation américaine, qui se vivait sous Saddam Hussein, comme la sentinelle avancée du Monde arabe sur son flanc oriental, ainsi que six monarchies pétrolières de constitution récente, faiblement peuplées et vulnérables mais dont la production brut vient au premier rang du Monde.
Lieu probable de l’éventuelle future confrontation américano-israélo-iranienne, le Golfe arabo-persique est un piège militaire, un casse tête diplomatique, et surtout un gigantesque cimetière marin.
Un rapport conjoint des services de renseignement américains, publié à l’automne 2007, a conclu à l’arrêt du programme nucléaire militaire iranien depuis 2003, alors que simultanément une simulation de l’Etat-major de la marine américaine concluait à la destruction de la totalité de la V me flotte américaine basée à Bahreïn en cas d’une offensive contre l’Iran. Malgré la circonspection apparente des services américains, la tension demeure forte dans la zone comme en témoigne le dernier incident naval américano-iranien survenu le 7 janvier 2008 à la veille de la tournée de George Bush au Moyen-Orient et les déclarations belliqueuses faites par le président américain le 12 janvier 2008 lors de son séjour dans les pétromonarchies du Golfe.
Des analystes occidentaux prêtent en effet l’intention aux Etats-Unis de se lancer –ou d’autoriser Israël- dans une opération contre l’Iran dans une sorte de fuite en avant visant à compenser ses revers d’Irak et à dépasser du même coup la crise du surendettement américain en offrant une diversion au krach prévisible du système financier mondial.
Zone intermédiaire entre l’Europe, dont elle est le premier fournisseur de pétrole, et, l’Asie, deux zones qui seraient les premières touchées par une éventuelle interruption du trafic maritime, le Golfe a été, à ce titre, le théâtre de concentration de deux armadas en deux décennies: lors de la «guerre des pétroliers entre l’Irak et l’Iran (1986-1987) et de la guerre de la coalition occidentale contre l’Irak, en 2000.
En septembre 2007, lors de l’épreuve de force entre les Etats-Unis et l’Iran à propos du nucléaire iranien, la plus importante concentration navale y était déployée. Trois porte-avions à propulsion nucléaire, dont le Nimitz, le plus grand porte-avion du monde, ainsi que le Dwight Eisenhower et le John Stennis- soutenus par une quarantaine de bâtiments d’escorte, et près d’une centaine d’appareils de l’aviation embarquée, avaient été affectés à cette zone. Ils y bénéficient de l’appui de la gigantesque infrastructure militaire américaine en Irak, le nouveau champ d’expérimentation de la guerre moderne américaine dans le Tiers-monde, de la base navale de Manana (Bahrein), point d’ancrage de la V me flotte américaine dans cette région pétrolifère, d’Israël, le partenaire stratégique des Etats-Unis dans la zone, ainsi que des bases relais de Diégo Garcia (Océan indien) et de Doha (Qatar), qui abrite le poste de commandement opérationnel du QAOC, le centre d’opération aérienne qui gère les bombardements aériens sur l’Irak et l’Afghanistan ainsi que le Centcom, le commandement central américain dont la compétence s’étend sur l’axe de crise qui va de l’Afghanistan au Maroc.
Cette Armada, plus substantielle que celle massée face à l’Irak, en 2003, et face à l’Afghanistan, en 2001, constituait la plus importante concentration navale depuis le déploiement occidental au large de Beyrouth, en février 1984, qui était intervenu après la prise de contrôle de la capitale libanaise par les milices chiites et les attentats anti-occidentaux contre le quartier général français du Drakkar (59 morts français) et le quartier général américain de l’aéroport de Beyrouth (212 Marines US tués).
De son côté, l’Iran avait aligné une flotte de sous marins, une flotte d’aéroglisseurs, l’une des plus importantes du monde, de ROV (véhicules actionnés à distance), d’unités aéroportées comprenant plusieurs escadrons d’hélicoptères, des dragueurs de mines et un important arsenal de missiles antinavires. Outre l’incident naval irano-américain, la marine iranienne s’est livrée à un coup de force contre une patrouille britannique, au printemps 2007, capturant sans coup férir 15 marins. Indice d’une nervosité grandissante, ces incidents s’apparentent à des rounds d’observation opposant l’Iran aux pays occidentaux ayant participé à l’invasion de l’Irak, les Etats-Unis et le Royaume uni.
Un gigantesque cimetière marin
La «guerre des pétroliers» qui a opposé l’Irak et l’Iran pendant près de dix ans (1980-1989) a transformé le Golfe arabo-persique en un gigantesque cimetière marin, provoquant en tonnage le double des pertes maritimes que celles enregistrées pendant la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945), autour de quarante millions de tonnes, selon les estimations des assureurs maritimes londoniens.
Cinq cent quarante (540) bâtiments, cargos et pétroliers, ont été coulés ou endommagés, soit près du double du tonnage coulé pendant la Deuxième guerre mondiale (1939-1945) depuis l’extension du conflit irako-iranien au Golfe à la suite de la décision de l’Irak de décréter, en Août 1982, au plus fort du siège militaire israélien de Beyrouth, une «zone d’exclusion maritime».
Rien qu’en 1986, quatre vingt dix sept (97) bâtiments battant pavillon de 22 nationalités ont été endommagés au paroxysme de la «guerre des pétroliers». Pour la seule journée du 27 Novembre 1986, cinq navires -dont quatre pétroliers- ont été atteints au cours d’une opération au large du terminal iranien de Larak, l’objectif le plus méridional jamais visé par l’aviation irakienne depuis le début de la guerre. Ce terminal est situé à 800 km des frontières de l’Irak, au milieu du détroit d’Ormuz, passage obligatoire pour tous les navires entrant ou sortant du Golfe.
Deux cent seize (216) hommes d’équipage de pétroliers, de cargos et de caboteurs de vingt deux nationalités ont trouvé la mort, selon les indications fournies au 1er décembre 1987 par les assureurs maritimes. Une trentaine de bâtiments gagnés par la rouille sont, d’autre part, immobilisés au port irakien de Bassorah (au sud du pays), depuis le début du conflit en septembre 1980.
En raison des coûts et des risques, les assureurs ont renoncé à les récupérer. En 1986, la moitié des bateaux touchés étaient des pétroliers. Une trentaine jaugeaient plus de 200.000 tonnes.
Des débordements se produisent parfois: des plates formes sont désormais prises pour cibles. En Octobre 1986, les Mirage Irakiens ravitaillés en vol ont effectué des raids contre des objectifs off-shore sur les champs de Rostam et de Bassam, dans le sud du Golfe, à plus de 800 km de leurs bases. Un avion non identifié a tiré le 26 novembre plusieurs missiles contre l’une d’entre elles, sur le champ pétrolifère d’Abou Al-Bukhoosh, dans les eaux territoriales des Emirats arabes unis, faisant cinq morts et une vingtaine de blessés.
En dépit des risques grandissant, les pétroliers continuent de fréquenter en nombre les eaux du Golfe, attirés par l’appât du gain. Certains ont installé sur leurs bâtiments un dispositif défensif anti-missiles, expérimenté durant la guerre anglo-argentine des Malouines, en 1982. Il s’agit de «leurres» qui écartent les missiles et du recours à une peinture noire non réfléchissante rendant les navires quasi invisibles pour les radars.
Au plus fort de la guerre irako-iranienne, dans la phase dite de «la guerre des pétroliers» (1986-1987), la plus forte armada de l’après Vietnam y était concentrée. Pas moins de 70 navires de guerre avec au total 30.000 hommes appartenant aux flottes de guerre américaine, soviétique, française et britannique croisaient dans les eaux du Golfe, le détroit d’Ormuz, la Mer d’Arabie et le Nord de l’Océan Indien. A cette flotte s’y ajoutaient les flottes consacrées à la défense côtière des pays de la zone. C’est dans ce périmètre qu’une unité de la flotte américaine, le «Starck» a été, par erreur, la cible de l’aviation iranienne et un autre, le croiseur «Vincennes» a abattu, en juillet 1987, un avion airbus iranien, tuant ses 290 passagers.
Piège militaire et casse tête diplomatique, cimetière marin, le Golfe soutient, selon les stratèges militaires occidentaux, le fameux «arc de crise» de la confrontation soviéto-américaine de l’époque de la guerre froide dans le tiers monde qui va de l’Afghanistan à l’Angola en passant par le Corne de l’Afrique.
En dépit de la disparition de l’Union soviétique, l’arc de crise existe toujours, mais la donne a changé transformant d’anciens partenaires en de farouches adversaires. L’Union soviétique a implosé, le capitalisme financier a triomphé sur l’ensemble de la planète, l’Irak, un des rares remparts laïcs avec la Syrie contre le fondamentalisme a été conquis et détruit par les Etats-Unis, transformé en principal champ de la confrontation américano-iranienne, l’Iran, ancien gendarme du Golfe pour le compte de l’Amérique du temps du Chah, (1953-1978) est devenue le principal opposant à l’hégémonie américaine sous la bannière de la Révolution islamique.
Se superposant à la rivalité américano-iranienne, le combat oppose désormais de l’Afghanistan à l’Afrique tropicale, en passant par la Corne de l’Afrique, les Américains et leurs anciens alliés islamistes de la guerre froide, les fameux «Combattants de la Liberté» chers aux intellectuels occidentaux, tant en Afghanistan, qu’au Pakistan, qu’en Irak ou même en Somalie et au Maghreb, dans un invraisemblable retournement d’alliance.
La première puissance planétaire de tous les temps, tombeur de l’Empire soviétique, se retrouve trente ans plus tard enlisée en Irak, en situation de choc frontal avec ses anciens alliés du combat anti-soviétique, en butte à une nouvelle guerre d’usure, affligée des stigmates des tortures de la prison d’Abou Ghraib (Irak) et du bagne de Guantanamo (Cuba), «le goulag contemporain», un crédit diplomatique et militaire compromis de même que sa posture morale ébranlée par le pillage du Musée de Bagdad, les tortures dans les camps de prisonniers, les mensonges sur les armes de destruction massive et l’espionnage du siège du Secrétaire général des Nations Unies.
Un complet retournement de situation dans une zone en conflit depuis près de trente ans, aux multiples rebondissements. Affaire à suivre.